Conservatoire Régional de Paris, Auditorium Marcel
Landowski, Jeudi 12 janvier 2012
Ensemble 2e2m - Photo : DR
Voilà quarante ans, le compositeur Paul
Mefano fondait l’ensemble 2e2m (2e pour « études (et)
expression », 2m pour « (des) modes musicaux »), qui appartient
à la première génération de formations à géométrie variable qui, dix-huit ans
après le Domaine musical de Pierre Boulez, entendait associer des collectifs de
compositeurs et de musiciens interprètes. Il en est ainsi depuis 1972, puisque,
présidé par le compositeur Bernard Cavanna, le comité directeur de 2e2m est aujourd’hui
encore constitué des deux entités, qui se veulent les garants de l’ouverture et
du pluralisme musicaux. Avec plus de six cents créations, 2e2m peut s’enorgueillir
d’avoir révélé un grand nombre d’œuvres et de compositeurs d’importance.
Implanté à Champigny-sur-Marne au titre d’une résidence de création, l’ensemble
irrigue la région parisienne et la France entière, mais aussi l’Europe et le
monde dans le cadre de vastes tournées de concerts et de spectacles lyriques
dont il est souvent l’un des coproducteurs.
Donné hier soir dans un Auditorium Marcel
Landowski du Conservatoire à rayonnement régional de Paris archicomble, le premier
concert de la saison 2011-2012 est emblématique de son activité, puisqu’il s’est
ouvert sur une création mondiale du compositeur argentin Martín Matalón (né en
1958) et s’est conclu sur deux œuvres du compositeur en résidence cette année,
le Tchèque Ondřej Adámek (né en 1978). Entre ces deux moments phares, se sont
immiscés deux autres Tchèques, Martin Smolka (né en 1959) et Leoš Janáček (1854-1928).
Ecrit pour accordéon, flûte, clarinette, basson,
cor, trompette, harpe, deux percussionnistes, violon et violoncelle, Trame X de Matalón appartient à la série
générique inspirée du poème éponyme de Jorge Luis Borges (1899-1986), immense
écrivain argentin à qui le compositeur est particulièrement attaché. C’est d’ailleurs
avec un « parcours musical » sur La
Rosa profunda présenté Centre Pompidou en 1992 qu’il s’est fait connaître
en France. Depuis lors, l’essentiel de sa création puise dans le monde
labyrinthique du poète. Construit en quatre mouvements, Trame X se fonde sur l’articulation des concepts, dans leur
échange, leur agilité, leur développement dans le temps, comme l’explique le
compositeur. Autant que l’on puisse en juger par cette première audition, l’œuvre
est riche en timbres et en dynamiques et, comme toujours chez Matalón,
expressive, prenant l’auditeur par la main pour ne plus le lâcher, grâce
notamment à l’atmosphère onirique exaltée par l’accordéon.
Die Seele
auf dem Esel (L’âme de l’âne) pour
flûte, clarinette, piano, percussion, violon, alto et violoncelle de Martin
Smolka n’était donné partiellement, en première audition française. Compositeur
praguois, Smolka tient une place centrale dans la musique contemporaine tchèque
comme l’un des fondateurs de l’Ensemble Agon dont il a été le directeur
artistique jusqu’en 1998. Ecrit en 2008 pour la Radio bavaroise, comptant initialement
six mouvements réduits à quatre pour une seconde version, Die Seele auf dem Esel s’appuie sur le contraste entre le forte et le silence, le vif et le lent,
le tutti et le solo, l’exaspération
et le calme, avec pour assise le violoncelle. Il résulte ainsi de cette pièce
une force expressive authentique avivée par la virtuosité de l’écriture
instrumentale.
Forte déception en revanche dans l’admirable Capriccio pour piano pour la main gauche,
flûte et sextuor de cuivres (1926) de Leoš Janáček que les musiciens de l’ensemble 2e2m
semblaient découvrir au moment du concert. Au point que leur chef et directeur
artistique Pierre Roulier a dû faire recommencer par trois fois les premières
mesures. De guerre lasse, il a finalement laissé filer l’exécution – terme qui
peut être ici pris au sens premier – de l’œuvre jusqu’à son terme, mais sans
convaincre pour autant. Il est triste d’avoir assisté impuissant à ce naufrage
qui conduisait ces musiciens au demeurant excellents aux portes de l’asphyxie,
sans jamais parvenir serait-ce qu’à s’approcher un tantinet des couleurs caractéristiques
du compositeur morave qui le font à la fois si original et si intense dans l’expression
et l’émotion. Même la pianiste, Véronique Briel, est restée à l’extérieur du
propos, se limitant à tenir sa partie avec un son étroit et sans carnation.
Le pauvre Capriccio était
encadré par deux pages d’Ondřej Adámek. La première, Rapid Eye Movements pour quatuor à
cordes et électronique, est datée 2003-2005. Certes exigeante, avec sa geste
reposant sur la respiration et la pulsation cardiaque, cette œuvre nécessitait-elle
pour autant la présence d’un chef d’orchestre, certes doté d'un curseur à ses pieds, pour être convenablement exécutée ? Le second
quatuor, avec électronique en temps réel, de Philippe Manoury, Tensio (2010), pourtant plus complexe
que celui d’Adámek, avait été créé par le Quatuor Diotima sans pareil soutient, après avoir été
longuement préparé par les musiciens avec la seule présence de son auteur et chaque musicien disposant de son propre curseur informatique au pied. Ce
qu’Adámek n’a certainement pas manqué de faire, puisqu’il assistait à ce
concert, bien qu’il vive désormais à Berlin, d’autant plus qu’il s’agissait
hier soir, rappelons-le, du premier rendez-vous public de sa résidence 2e2m. Création
en France, B-low Up pour flûte,
hautbois, deux clarinettes, cor, trompette, trombone, piano, harpe, accordéon,
deux percussionnistes (dont un jouant dans le coffre du piano) et quintette à
cordes avec contrebasse (2009-2010), renvoie peut-être au célèbre film de Michelangelo
Antonioni Blow Up (1966), mais a
aussi et surtout pour référent le souffle, l’extension, la déflagration (Bellow (and) up).
Cette pièce en trois parties est pleine de bruits et de silences, tandis que
les instruments sont utilisés au-delà de leurs propriétés, au point qu’il en sort
des sons inusités qui les rendent souvent méconnaissables suscitant parfois une
confusion judicieuse, une trompette pouvant sonner comme un violon, une clarinette comme
un accordéon, tandis que le coffre du piano est à lui seul un véritable
aquarium.
BRUNO SERROU
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