jeudi 5 janvier 2012

Les Hauts de Hurlevent de Bernard Herrmann, un opéra à découvrir au disque


  

Créé en 1985 par le compositeur René Koering, son directeur jusqu’en 2011, pour ranimer des répertoires oubliés ou ignorés, le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon a révélé des centaines d’œuvres, certaines d’entre elles ayant fait l’objet d’éditions discographiques. Une telle politique a ses risques, et les déceptions n'ont pas manqué, mais il est souvent arrivé que les choix se soient imposés en toute évidence. Ainsi, la révélation le 14 juillet 2010 d’un opéra inconnu au titre pourtant fameux, Wuthering Heights (les Hauts de Hurlevent) du compositeur chef d’orchestre new-yorkais Bernard Herrmann (1911-1975). Admirateur de Charles Ives, Herrmann est célébré dans le monde entier pour ses nombreuses et remarquables musiques de film (Citizen KaneLa splendeur des Amberson, L’aventure de Madame Muir, Mais qui a tué Harry ?, L’homme qui en savait trop, Vertigo, Mort aux trousses, Pas de printemps pour Marnie, Les oiseaux, Psychose, Le rideau déchiré, Voyage au centre de la terre, Farenheit 451, La mariée était en noir, Obsession, Taxi driver, une cinquantaine au total écrites entre 1941 et 1975). Ce que l’on sait moins, c’est que Bernard Herrmann s’est également distingué dans le domaine de la « musique sérieuse », signant dès 1929 deux poèmes symphoniques, une cantate, Moby Dick en 1938 et une symphonie en 1941, entre autres partitions.
Mais l’œuvre la plus chère aux yeux de Bernard Herrmann est l’opéra Wuthering Heights qu’il a achevé en 1951 au terme de huit années de genèse. L’ouvrage ne devait être créé au concert qu’en 1966, à Londres, avant d’être porté à la scène le 6 novembre 1982, à Portland. Les quatre actes d’un peu moins de trois heures au total ne reprennent que la première partie du roman éponyme qu’Emily Brontë (1818-1848) publia en 1847, fidèlement adapté pour l’occasion par Lucille Fletcher, première épouse du compositeur. A l’instar du roman, le prologue se situe vingt ans après l’action principale, tel un flash back, ce qui ne pouvait que convaincre cet homme de cinéma. Sans doute grâce à cette expérience unique, Herrmann traduit avec une efficacité saisissante les angoisses et le mystère du roman de Brontë, dont certains apnées donnent le vertige - on retrouve d’ailleurs des prémices de la partition composée pour le film d’Hitchcock, Vertigo (1958), ainsi que des thèmes tirés de Citizen Kane d’Orson Wells (1941) et L’aventure de Madame Muir de Joseph L. Mankiewicz (1947) -, tandis que l’on décèle des fragrances viennoises avec un expressionnisme dans l’esprit du Schönberg (1874-1951) de la Nuit transfigurée et, surtout, d’Alexandre Zemlinsky (1871-1942), auteur d’une dizaine d’opéras aux tensions exacerbées et à la sensualité paroxystique, ainsi que des atmosphères du compositeur britannique Frederick Delius (1862-1934). On y trouve également des élans un peu trop hollywoodiens qui suscitent quelques tunnels, mais la première demi-heure confine au chef-d’œuvre, ce qui fait regretter qu’Hermann n’ait pas resserré davantage la suite de son opéra.
Mais ces quelques longueurs ne peuvent expliquer à elles seules l’absence de Wuthering Heights de la scène lyrique, surtout à l’aune de ce que fait de cette partition Alain Altinoglu, qui dirige l’ouvrage avec passion, soutenant avec fougue et conviction une distribution particulièrement homogène. La soprano étatsunienne Laura Aikin est une Catherine Earnshaw rayonnante et déterminée, la jeune mezzo-soprano héraultaise Marianne Crebassa, merveilleuse recrue de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris qui, dans la charmante arietta « Love is like the wilde rose-briar », chante s’accompagnant elle-même au piano, campe de sa voix de velours une émouvante Isabella Linton, tandis que la mezzo-soprano suisse Hanna Schaer est une excellente Nelly Dean. Dans le lourd rôle de Haethcliff, le baryton israélien Boaz Daniel impose une voix ferme à la belle plastique, le baryton-basse français Vincent Le Texier incarne un Earnshaw violent à souhait, et le ténor belge Yves Saelens un Linton éperdu. Quant à l’Orchestre National de Montpellier, il s’avère solide et homogène, donnant ainsi la quintessence de cette belle partition.
Bruno Serrou
Coffret de 3 CD Universal/Accord 4764653

3 commentaires:

  1. Un article sur Bernard Hermann, c'est suffisamment rare pour être souligné et que je me permette un léger commentaire.
    Ce compositeur est passionnant et sa "pâte" sonore mise au profit du cinéma a réellement donné une autre dimension à certaines réalisation de cet art.
    Ce qui est dommage et a été dommageable pour lui c'est son dénigrement personnel pour sa carrière et son œuvre, lui qui rêvait d'être un grand chef d'orchestre pour diriger de véritables œuvres en place de ses compositions qu'il jugeait mineures, du fait qu'elles étaient destinées à un art considéré à l’époque comme mineur, lui aussi.
    Taxi Driver reste pourtant dans ma mémoire comme un véritable archétype du standard de jazz, mais il ne voulait pas de cette célébrité là, du moins c'est ce qu'on en dit et ce sur quoi un documentaire Arte avait mis l'accent voici quelques années.
    Même s'il est vrai que l'on repère chez lui dans l'écriture des archétypes wagnériens (chromatismes intenses, usage récurent de l'accord diminué simple et non de 7e, place prépondérante octroyée aux cuivres...), l'influence effective de Yves (polyrythmie, polytonalité, parfois) et même des segments tirés directement de chez K Weill (burlesque dissonant, écriture pour ensembles type harmonie) , il a su créer un univers sonore bien particulier servi par un mode d’orchestration symphonique synthèse d'une grande culture en ce domaine (en gros parfaite maîtrise de toute la période romantique jusqu'à l'école de Vienne, l'intérêt pour le répétitif américain et bien sur les ficelles de l'écriture du big band et de la comédie musicale de Broadway et du cabaret dit berlinois).
    Voici plusieurs années j'avais fait un cours sur la cellule répétitive et obsessionnelle de "Vertigo", cette "boucle" qui se croise, s’entrecroise, en parallèle, en miroir, en dédoublements de tempos... avec un rien, toute une atmosphère, tout une oppression, toute l'image de l’ambiguïté du personnage féminin aux facettes multiples et toute la sensation de l'escalier en colimaçon qui clôt le film sur un vertige enfin réellement déclaré.
    Un compositeur qui a compris que la musique d'un film doit vivre hors du film et ne pas être spécialement collée à l'image, mais avoir une autonomie par rapport à celle ci, suggérant plus le concept que l'effet lié à la scène, l'image.
    Un modèle du genre souvent imité, pas encore égalé.
    Du grand art, un grand bonhomme.
    Je ne savais pas qu'il avait gratté le papier pour un opéra, je vais donc me ruer dessus pour le régal des oreilles et des neurones.
    "Les Hauts de Hurlevent"... pas forcément du hasard dans ce choix pour LE compositeur de Hitch. On ne se "refait" pas...

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  2. Merci pour ce long et riche commentaire. J'espère que l'écoute de ce disque confortera à vos oreilles l'enthousiasme des miennes.

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  3. Merci.
    Vous pouvez également aller de vos commentaires ici :
    http://lifesensationsinmusic.blogspot.com/
    n'hésitez pas.
    bien cordialement.
    P Georges.

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