Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 2 octobre 2024
Magistrale leçon d’orchestre mercredi soir à la Philharmonie de Paris de la part
de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä dans la Neuvième Symphonie
en ré majeur de Gustav Mahler, virtuose,
sonnant admirablement, d’une luminosité chatoyante, mais d’une fraîcheur
excessive car il y manque encore douleur, profondeur désespérée, introspection,
notion d’Eternité
Profondément marqué par la
déchirante Neuvième de Mahler donnée
Salle Pleyel voilà quatorze ans le 20 octobre 2010 par Claudio Abbado et « son »
Orchestre du Festival de Lucerne, un Abbado rayonnant, toujours svelte
et le geste élégant, écrivais-je à l’époque, mais qui se montre trop retenu
dans le Rondo-Burlesque, sans doute pour
mieux préparer l’hallucinant tourbillon de désespoir qui clôt le morceau. Le
chef italien avait offert un Adagio
final déchirant se concluant sur un Adagissimo
faisant entrer de plein pied dans la douleur éternelle. Tandis que le dernier
accord des cordes s’éteignait doucement dans un halo de lumière céleste, Abbado
suspendit le temps en maintenant ses bras levés près de trois minutes durant, jusqu'à
ce qu'un imbécile crie « basta ! » aussitôt couvert par un
tonnerre d'applaudissements de dix minutes en standing ovation, tandis que les
familiers de Pleyel étaient encore sous le choc de ce qu'ils venaient d'écouter,
marqués à jamais.
D’élégance et d’engagement, Klaus
Mäkelä n’en manque en aucun cas. Et cela
s’entend et se voit, tant il s’engage le corps entier dans l’interprétation de
cet impressionnant chef-d’œuvre. Gestique large, souple et claire, physiquement
engagé, plongeant le buste dans l’orchestre, chantant avec lui, le jeune chef
finlandais et son Orchestre de Paris sont dans la fusion totale, la phalange
parisienne sonnant brillamment, sans le moindre écart, exaltant des sonorités
scintillantes, colorées, charnelles, jusque dans les moments les plus délicats
rythmiquement et techniquement, tous les pupitres rivalisant de virtuosité et d’expressivité,
jouant d’un large nuancier où aucune défaillance ne point.
Cette interprétation remarquable
suscite l’enthousiasme
tant la qualité de la prestation de Klaus Mäkelä et les musiciens de l’Orchestre
de Paris est convaincante. Mais aussi somptueuse soit-elle, cette conception à
laquelle je ne reproche rien de bien rédhibitoire dans ce que ses interprètes
en ont "dit" hier soir, si ce n’est quelques passages à vide et des
défaillances dans l’unité dues notamment à des ruptures trop brutales
particulièrement dans l’Andante comodo initial
d’où n’émane guère de lignes de force, de déchirures abyssales. Après un Rondo-Burlesque trop retenu dans sa
première partie, l’Orchestre de Paris sous l’impulsion de son directeur musical
s’est illustré dans l’inexorable progression de sa dynamique explosant dans l’euphorie
fébrile, le bruit et la fureur d’un crescendo assourdissant de l’orchestre
entier. Plus encore que dans les deux mouvements initiaux, l’Adagio final a conduit à relever le manque de maturité indispensable
pour pénétrer les arcanes spirituelles et de cette œuvre-testament certes
virtuose mais surtout profonde, douloureuse, parfois au seuil d’une folie due
au désespoir, avec cette notion d’Eternité qui, pour ceux qui ont eu la chance
d’y assister, rend l’interprétation de Claudio Abbado à la tête de son
Orchestre du Festival de Lucerne en 2010 si précieuse, sans remonter à Rafael
Kubelik ou à Georg Solti avec l’Orchestre de Paris dans les années 1970. Mais
il est certain que pour Mäkelä, qui dirige cette Neuvième pour la deuxième fois à la tête de l’Orchestre de Paris en
quatre ans (1), ce n'est qu'une question de maturation chez ce jeune chef de moins
de 30 ans qui va avoir maintes occasions de se plonger dans l'univers
mahlérien, puisqu'il est le directeur musical désigné de l'orchestre le plus
mahlérien du monde, celui du Het Concertgebouw d’Amsterdam.
Bruno
Serrou
1) Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris ont donné ensemble la Symphonie n° 9 de Mahler à huis-clos à la Philharmonie de Paris le 9 décembre 2020 pour une diffusion sur le site Internet de la Philharmonie de Paris durant la pandémie de la Covid-19 en remplacement de la Symphonie « Résurrection », qui nécessitait la participation de deux cantatrices solistes et d’un chœur
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