Paris. Philharmonie. Cité de la Musique. Salle des Concerts. Vendredi 13 septembre 2024
C’est un très beau concert
d’ouverture de saison que l’Ensemble
Intercontemporain et son directeur musical Pierre Bleuse ont offert à la Cité de la Musique / Philharmonie de Paris vendredi 13
septembre, jour du cent cinquantième anniversaire de la naissance d’Arnold Schönberg (1874-1951) dont son fondateur, Pierre Boulez (1925-2016), fut l’homme lige, ont offert, avec pour
invité central Michael Jarrell (né en 1958), qui a proposé à la demande de l’EIC
deux arrangements d’œuvres pour grand orchestre qui sont autant de réductions
que de duperies. « Il ne suffit pas de réduire, il faut tricher »,
convient Michael Jarrell si l'on entend réussir un arrangement…
Ce sont en effet deux commandes de l’Ensemble
Intercontemporain réalisées par le compositeur suisse qui ont été données vendredi
en création mondiale. Il s’est agi en fait de deux « arrangements »,
le premier de l’une de ses propres œuvres, le second de la page la plus optimiste
du compositeur les plus joués du répertoire symphonique, le compositeur chef d’orchestre
austro-hongrois Gustav Mahler (1860-1911), dont se réclamait volontiers le
fondateur de la Seconde Ecole de Vienne. Un programme qui aura permis également
aux solistes que sont les musiciens de l’EIC, dont la devise fondatrice est « Solistes
Ensemble ».
La première partie de la soirée
était vouée au concerto virtuose pour piano Reflections
II - le titre anglais suggérant à la fois la pensée et le reflet - adapté
en 2024 de Reflections I pour piano et
orchestre de forme classique en trois mouvements alternant vif-lent-vif composé
pour Bertrand Chamayou qui en a donné la création mondiale le 25 mai 2019 à la
Philharmonie de Paris avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé
par Kazuki Yamada. Au piano virtuose affrontant le bloc étoffé du grand l’orchestre
de l’original s’est substitué dans ces Reflections
II une version plus fluide et limpide qui rend plus saisissante encore la
mobilité de l’écriture et du jeu instrumental, le temps suspendu et les éclats
virtuoses, les voix étant ici plus aérées et épurées, chaque instrumentiste
plus ou moins traité en soliste volubile sonnant comme plusieurs, les
chatoiements de l’orchestre se faisant plus rutilants et clairs, chaque voix
dialoguant et élargissant les miroitements du piano dextrement joué par un
impressionnant Hidéki Nagano investi dans l’œuvre avec une stupéfiante maestria.
Second arrangement réalisé par Michael Jarrell de la soirée, la plus lumineuse des partitions de Gustav Mahler (1860-1911), la Symphonie n° 4 en sol majeur (1892-1910) avec un effectif de cordes réduit à trois premiers et deux seconds violons, trois altos, trois violoncelles, une contrebasse, bois (trois clarinettes) et cuivres par deux (plus un trombone absent de la nomenclature de l’original mahlérien « pour tricher », le posthorn ajoutant ses couleurs comblant trompette et cor manquants), harpe, timbales et percussion, le tout sonnant de façon incroyablement proche de l’original, le tout donnant aux membres de l’Ensemble Intercontemporain l’occasion de briller, du premier violon tenu par un magistral Diego Tosi, se régalant clairement de l’alternance des deux violons dans le deuxième mouvement (In gemächlicher Bewegung. Ohne Hast - Dans un mouvement tranquille. Sans hâte), le second, symbolisant le diable, en scordatura, tandis que le Ruhevoll. Poco adagio (Paisible. Pas trop lent), mouvement lent de la symphonie, a été abordé dans le juste tempo par Pierre Bleuse, sans traîner mais avec une émotion contenue et sans pathos, tandis que le finale Das himmlische Leben : Sehr bahaglich (La vie céleste : Très confortable) a gaiment transporté au paradis avec ses sonneries de calèche enluminant la voix pleine mais souple et légèrement fruitée de l’excellente soprano française Elsa Benoit a conduit avec grâce aux vaporeuses notes conclusives confiées à la harpe tenue par Valeria Kafelnikov sur lesquelles s’éteint la symphonie, qui rebondira de plus belle avec la fanfare ouvrant la Symphonie n° 5 en ut dièse mineur (1901-1902).
A propos de fanfare, il convient de saluer la magnificence
de la totalité des pupitres de l’Ensemble Intercontempoprain, certains
renforcés par des musiciens supplémentaires (hautbois, trombone, tuba, deux
violons, alto, violoncelle). La réussite de cet arrangement est telle que l’on
se met à rêver à ce que pourrait faire le compositeur helvétique s’il lui était
demandé une semblable réalisation de la Symphonie
« Résurrection » à défaut de la Symphonie « des Mille »…
Bruno Serrou
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