Paris. Opéra national de Paris-Palais Garnier. Jeudi 26 septembre 2024
« Y a des gens qui se dis’nt Espagnols/Et qui n’sont pas du tout
Espagnols…/Nous, nous sommes de vrais Espagnols,/Ça nous distingue des faux
Espagnols ». De l’opéra-bouffe Les Brigands de Jacques Offenbach, l’Opéra de Paris propose une approche
transgressive et conformiste de drag’ queens mise en scène lourdingue de Barry
Kosky. Seul tableau bien venu, l’apparition des Espagnols… Orchestre flamboyant
dirigé avec allant par Stefano Montonari, distribution en faisant des tonnes avec une certaiune élégance néanmoins sous l’impulsion de Marcel Beekman à la voix puissante
Au tournant des années 1867-1869,
tandis que sa Grande Duchesse de
Gerolstein est à l’affiche du Théâtre des Variétés, Jacques Offenbach s’est
attelé à la genèse Les Brigands, avec
la complicité du fameux binôme de librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Un temps interrompue en raison de la genèse de La Périchole, qui allait être créé le 6 octobre 1868, la conception
des Brigands s’avère compliquée, et
il faut attendre octobre 1869 pour que l’œuvre aboutisse avant d’être créée au
Théâtre des Variétés le 10 décembre suivant. Une décennie plus tard une seconde
version est proposée au Théâtre de la Gaîté le 25 décembre 1878, incluant un
quatrième tableau.
Pour sa douzième représentation In loco, l’œuvre ayant fait son entrée à
Garnier en 1931, donnée soixante-deux ans plus tard à l’Opéra-Bastille par la
troupe des Deschiens, c’est la version première que propose l’Opéra de Paris au
palais Garnier, celle de 1869, à laquelle ont été ajoutés des dialogues réactualisés
par le dramaturge Antonio Cuenca Ruiz associés à un monologue écrit par l’humoriste
« performeuse » Sandrine Sarroche, qui tient le rôle du ministre du
Budget Antonio avec des blagues lourdingues visant Michel Barnier, Bruno Le
Maire et autres ministres sans le moindre recul humoristique - le maillon
faible de la production tant elle semble ne pas croire à ce qu’elle dit d’une
voix peu audible. Le sujet prête à tous les déguisements possibles, et le
metteur en scène australien ne se prive pas pour en jouer et en abuser, se
situant dans la ligne de ses confrères qui se plaisent à pérenniser dans
l’opéra-bouffe l’esprit de l’opérette et de la gaudriole, depuis les
Branquignols et les Deschiens, jusqu’à Jérôme Savary et Olivier Py (avec les
inévitables cornettes de l’ordre des Filles de la Charité), plongeant quant à
lui dans l’univers des drag queens qui n’a plus rien de subversif tant il est
en vogue désormais, au point d’être devenu un divertissement proposé par une
chaîne de télévision du service public intitulé Drag Race France. Tant et si bien qu’il faut un
long moment pour commencer à rire de bon cœur, tant la charge sexuelle est
excessive durant les deux tiers du spectacle, avec ces traits surlignés au
transgenre désormais invasif, LGBTIQA+. Il n’y a rien à redire quant à la
qualité de la production, sorte de carnaval bigarré et déjanté façon gay pride. Côté fosse, l’orchestration
s’avère par instants un brin trop épais et trop sonore. L’action se situe dans
un vieux théâtre dont les éléments de décors viennent des réserves de magasins
voisins utilisés en fonction des scènes laissant libre une grande partie du
plateau où s’expriment un nombre assez considérable de personnages, choristes,
danseurs, acrobates, figurants, tandis que des toiles peintes délimitent l’espace
de jeu en fonction des péripéties de la narration animée par une compagnie de coupe-jarrets au
demeurant sympathiques.
A la tête de cette équipe de
brigands bigarrée qui passent leur temps à se travestir et à changer d’identité,
le queer Falsacappa tenu par Marcel Beekman façon clone de la drag queen Divine,
égérie du cinéaste états-unien John Waters, avec son front dégarni tel un clown
blanc, ses maquillages outranciers, ses perruques choucroutes aux couleurs chamarrées,
et sa robe moulante rouge à paillettes d’or et à large volant perché sur des talons-échasses,
ce qui lui permet de déployer un humour trash qui passe heureusement sans trop
de difficulté tant le ténor néerlandais, aussi brillant chanteur que flamboyant
comédien, s’exprimant en souplesse, avec une autorité naturelle et une certaine
tenue tant ses gestes et son expression demeurent à la frange de la vulgarité,
tandis que sa voix est riche, ample et flexible, capable de diversifier
couleurs et tons avec habileté. Sous sa coupe, la distribution s’égaye avec
bonheur, surtout dans la seconde partie du spectacle. A commencer par le
délicieux couple Fiorella, fille de Falsacappa, Fragoletto tenu par la soprano Marie
Perbost et la mezzo-soprano Antoinette Dennefeld, voix puissante et saine à l’élocution
claire, l’inénarrable Comte de Gloria-Cassis de Philippe Talbot à la ligne de
chant exemplaire qui porte de façon éblouissante la scène la plus réussie du
spectacle entier, le tableau espagnol avec son pompeux décorum étincelant
chargé de bondieuseries hispaniques, ainsi que l’ineffable infante de la
contralto gabonaise Adriana Bignagni Lesca à la voix de velours, et dans les
courts rôles du Chef des carabiniers et du Baron de Campotasso somptueusement
distribués, Laurent Naouri à la voix de stentor et à un Yann Beuron toujours excellent,
tous deux terminant en caleçon blanc, le premier le buste recouvert d’un marcel
le second d’une chemise, tandis que Mathias Vidal, Eric Huchet et Franck
Leguérinel s’imposent respectivement en Prince de Mantoue, Domino et Barbavano.
A l’instar de la mise en scène, le
spectacle ne traîne pas côté musique, Stefano Montaniri menant l’ensemble à
bout de bras et en manche de chemise dégradée de gris depuis la fosse sans le
moindre temps mort. La direction du chef italien est enlevée avec souplesse et
énergie, l’Orchestre de l’Opéra de Paris, rutilant, réalisant un sans-faute malgré
les tempi soutenus du chef italien.
Les chœurs sont également à saluer par leur homogénéité, leur engagement et la
précision de leur jeu qui trahit une réelle délectation à s’exprimer sur la
scène comme autant de personnages bigarrés.
Bruno Serrou
1) Jusqu’au 12 octobre 2024. Le
spectacle sera repris à la fin de la saison à Garnier du 26 juin au 12 juillet
2025