France. Dordogne. Villages de Cercles, Rossignol, Mareuil,
Vieux-Mareuil, La Chapelle-Montabourlet, Jaurias. Eglises Saint-Cybard,
Saint-Pierre-es-Liens, Saint-Pardoux, Saint-Pierre, Saint-Barthélemy, Château
de Jaurias. Vendredi 28, samedi 29, dimanche 30 juillet 2023
Ton Koopman, Amsterdam Baroque Orchestra. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Privé cet été, malgré diverses demandes, de festivals de création
contemporaine, j’ai accepté avec joie une invitation venue de l’autre côté de
l’échiquier musical, puisqu’elle a émané du chef d’orchestre claveciniste
organiste pédagogue néerlandais Ton Koopman, chez qui j’avais eu le bonheur de
me rendre voilà cinq ans à
Naarden-Bussum au nord d’Amsterdam, le 3 juillet 2018 pour plus de deux heures
d’interview (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2018/07/ton-koopman-entretien-avec-le-chef.html). J’ai de nouveau été chaleureusement accueilli, cette fois en France
mais dans un environnement très britannique, les ressortissants du Royaume-Uni
étant fort nombreux en Périgord depuis Eléonore d’Aquitaine et ses fils, loin devant
les Hollandais et les Italiens. Si bien que je n’ai eu d’autre choix que de m’immerger
trois jours durant dans la langue de Shakespeare que j’ai fait le maximum pour
ne pas l’écorner.
Cercles, église abbatiale Sant-Cybard, épicengtre du festival Itinéraire Baroque en Périgord. Photo : (c) Bruno Serrou
Neuf concerts étaient proposés en
trois jours aux festivaliers dans un itinéraires patrimonial de ravissantes
églises romanes réparties dans un rayon de trente kilomètres avec pour
épicentre le bien-nommé village de Cercles, et aux acoustiques parfaitement
adaptées au répertoire établi par le fondateur directeur artistique de la manifestation,
Ton Koopman, âgé de soixante dix neuf ans.
Cercles, église abbatiale Saint-Cybard, ensemble Scorpio Collectief. Photo : (c) Bruno Serrou
La première journée d’Itinéraire
Baroque en Périgord de Ton Koopman à laquelle j’ai assisté, deux concerts
passionnants étaient proposés en l’église abbatiale Saint-Cybard de Cercles. Intitulé
« Dans l’ombre de Claudio Monteverdi (1567-1643), petits maîtres de San Marco », le premier
réunissait des compositeurs moins courus que le Maître de chapelle de la cathédrale-basilique San
Marco du patriarcat de Venise représenté par son Confitebor terzo alla francese dans une version pour soprano solo
et ensemble instrumental, les Italiens Alessandro Grandi (1580-1630) et ses O quam tu pulchra es pour soprano et
basse continue, Exaudi me Domine dans
une version pour sacqueboute et basse
continue, et Vulnerasti cor meum pour
soprano, deux sacqueboutes et basse continue, Giuseppe Scarani (env.1628-1642) et
sa Sonata 6, due canti pour deux
sacqueboutes et basse continue, Dario Castello (1602-1631) avec le premier
livre des Sonata 4 a 2, Amedeo Freddi
(1570-1643) et son Salve Regina pour
soprano et basse continue, Giovanni Antonio Rigatti (1613-1648) Ave Regina pour soprano et ensemble,
Salomone Rossi (1570-1630) Sonata detta
la Viena pour deux sacqueboutes et basse continue, et un compositeur allemand
qui aurait pu être l’un des prédécesseurs de Jean-Sébastien Bach à Saint-Thomas
de Leipzig s’il n’eût été accusé de pédophilie ce qui le conduisit à s’exiler à
Venise en 1658 et à travailler à l’Hospice de la Pietà pour jeunes filles où
Vivaldi sera directeur musical, le Saxon Johann (Giovanni) Rosenmüller
(1617-1684) auteur d’un Liebe Herr Gott pour
soprano, deux sacqueboutes et basse continue. Toutes œuvres mises en regard de deux
pièces de deux grands maîtres, Giovanni Pier Luigi da Palestrina (1525-1594) et
son Tota pulchra es, amica mea pour
soprano, flûte à bec, sacqueboute et basse continue, et Francesco Cavalli
(1602-1676) avec la Cantate Domino
pour soprano et ensemble, le tout interprété avec délicatesse et sensibilité
par l’excellent ensemble belge Scorpio Collectief dirigé par son fondateur, le
sacqueboutiste Simen Van Mechelen, et constitué de la brillante soprano Perrine
Devillers, de Claire McIntyre (sacqueboute), Matthias Speater (chitarrone),
Emma Huijser (harpe, flûte à bec) et Pietro Paganini (orgue positif).
Chrstophe Rousset, Les Talens Lryques, église abbatiale Saint-Cybard. Photo : (c) Bruno Serrou
Le second concert du 28 juillet a
été un merveilleux moment, cadre d’une remarquable prestation de l’ensemble Les
Talens Lyriques en formation réduite, avec deux sopranos (Marie Lys et Judith van Wanroij), deux violons (Gilone Gaubert et Benjamin Chenier),
violoncelle (Emmanuel Jacques) et claviers dirigés par leur directeur-fondateur Christophe Rousset
depuis un orgue positif surmonté d’un clavecin dans un programme dense et d’une
intense spiritualité introduit par douze pièces d’inspiration religieuse
(hymne, antiennes et motets) de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Ave Maria Stella H 60, Jesu corona Virginum H 53, Regina coeli laetare H 32, Gaudete fideles, motet pour saint Bernard H
306, Veni sponsa Christi H 17, Ave Regina H. 22, Pastorale sur la naissance de notre seigneur Jésus Christ H 485, Sicut spina rosam genuit H 309, O dodor optime motet pour saint Augustin H
307 et Sola vivebat in antris motet
pour Marie Madeleine H 373. En seconde partie, Christophe Rousset et les
cinq membres de son ensemble présents revenaient sur des compositeurs
interprétés quelques heures plus tôt par Scorpio Collectief, Claudio Monteverdi
avec ses Salve Regina « Audi
caelum » SV 206, Iste confessor
SV 288 extrait de la Selva morale e
spirituale, Sancta Maria succurre
miseris SV 328, Venite sitiendes ad
aquas domini SV 335 et le Resurrexit SV 260 extrait de la Selva Morale e spirituale, pages
d’une profondeur extrême auxquelles ont fait écho deux pièces de Dario Castello
extraites du Primo Libro di sonate concertate
in stil moderno, la Sonata seconda et
la Sonata quarta. Ce concert
somptueux a hélas été amputé du pourtant fort attendu Pianto della Madonna sopra il Lamento d’Arianna pour cause « de durée excessive de la soirée » que
Christophe Rousset a opportunément jugée décalée à moins d’un mois de la fête
de l’Assomption.
Pietro Paganini (et sa tourneuse de pages), en l'église abbatiale Saint-Cybard de Cercles. Photo (c) Jean-Michel Bale
Le lendemain, six concerts étaient
proposés tout au long de la journée en autant de lieux du département situés dans
un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de Cercles comme épicentre. Conformément
à l’intitulé du festival, il s’est agi d’un authentique « Itinéraire »
parcouru par un public obligatoirement motorisé réparti en quatre groupes
distincts afin d’éviter embouteillages routiers et encombrements dans des lieux
de concerts aux jauges limitées. Ces quatre groupes se retrouvaient à la fin du
périple dans la cour d’un château pour un rendez-vous pédagogique. En prologue
était donné en l’abbatiale Saint-Cybard de Cercles un récital d’orgue positif
d’une grande spiritualité par le pianiste claveciniste organiste Pietro
Paganini - qui n’a apparemment aucun rapport avec le célèbre violoniste altiste
virtuose Niccolo Paganini -, titré « Jean-Sébastien Bach et ses
inspirations européennes », avec des œuvres permettant de comparer divers
styles contrapuntiques signées de Johann Jakob Froberger (1616-1667) avec une Toccata extraite du Livre II de 1649, Girolamo Frescobaldi (1583-1643) et une Canzone Terza du Second livre de partitas et de toccatas de 1637 et la Bergamasca extraite des Fiori musicali de 1635, Matthias
Weckmann (1616-1674) pour la Partita
« Die lieblichen Blicke », ensemble de quatre variations sur un
thème célèbre à l’époque (1650), le Parisien Louis Nicolas Clérambault
(1676-1749) et sa Suite du deuxième ton
(Plein Jeu - Duo - Trio) extraite du Premier
livre d’orgue publié en 1714, Georg Böhm (1661-1733) et sa Suite en fa mineur tirée du manuscrit de
Möller en fait une suite de danses françaises écrites dans le style spécifique
du nord de l’Allemagne, enfin Johann Sebastian Bach (1685-1750) avec le Capriccio in honorem Johann Christoph Bach
en mi majeur BWV 993 de 1702. A la fin de ce récital, l’un des
organisateurs de la journée a explicité les itinéraires à suivre par chacun des
quatre groupes de festivaliers...
La soprano Susan Jonckers entourée d'Annelies Schraa (flûte à bec) et Michel Niessen (luth) en l'église Saint-Pierre-es-Liens de Rossignol. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Le concert initial proposé au
premier groupe au sein duquel les journalistes étaient intégrés a conduit en
l’église Saint-Pierre-es-Liens de Rossignol pour un programme intitulé
« Giro d’Italia - Tour d’Italie », interprété par un trio hollandais
constitué de la voix chaleureuse de la soprano Susan Jonckers dialoguant avec la
flûtiste à bec Annelies Schraa et le luthiste Michel Niessen dans des pages
d’Antonio Vivaldi (1678-1741) l’aria
de Ruggiero « Sol da te, moi dolce
amore » de l’opéra Orlando
furioso, Giovanni Zamboni (1664-1721) Current
et Ceccona extraites de la Sonate XIa, Intavolatura di Leuto de
1718, et Alessandro Scarlatti (1660-1725) avec la longue cantate pour soprano,
flûte et basse continue Ardo, è ver, per
te d’amore H 62 de 1700.
La soprano Mary Bevan entourée de Davina Clarke (violon) et Sergio Bucheli (théorbe) en l'église Saint-Pardoux de Mareuil en Périgord. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Deuxième étape de la pérégrination
du jour, l’église Saint-Pardoux de Mareuil en Périgord pour un concert « Douce
Tranquillité », avec la voix manquant de carnation de la soprano
britannique Mary Bevan, accompagnée par sa compatriote violoniste Davina Clarke
certes louée par Sir John Eliot Gardiner mais, en ce 29 juillet, au son aigre
et métallique, de plus pas toujours juste, et le luthiste mexicain Sergio
Bucheli au théorbe dans trois pièces de Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
pour deux extraits des Neuf Airs
Allemands sur des textes de Barthold Heinrich Brockes, auteur entre autres
du livret de la Brockes Passion du
compositeur saxon, Süsser Blumen
ambraflocken HWV 204 et Süsser Stille
H 205, ainsi que la touchante aria
« Tu del Ciel » de Bellezza tirée de l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno HWV
46a ponctués au violon et au luth par trois duos de Nicola Matteis
(1650-1714) un extrait de Musica (Grave-Presto), une Aria (Adagio-Presto) et une Giga (Allegro), ainsi qu’un duo d’Alessandro
Piccinini (1566-1638), l’Aria di Saravanda.
Ensemble The Counterpoints en l'église Saint-Pierre de Vieux Mareuil. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Le groupe I de festivaliers se
retrouvait ensuite en l’église Saint-Pierre de Vieux Mareuil pour « La
Querelleuse », concert monographique consacré à Georg Philipp Telemann
(1681-1767) interminable bien que brillamment exécuté par le quatuor néerlandais
The Counterpoints constitué de Thomas Triesschijn (flûte à bec), Matthea de
Muynck (violon), au son moëlleux mais avec une chanterelle récalcitrante qui a
fini par lâcher, l’excellent violoncelliste Petr Hamouz, et Aljosja Mietus au clavecin
pour trois pages du compositeur le plus prolifique de l’histoire de la musique,
l’Ouverture-Suite en si bémol majeur en
sept mouvements La Querelleuse TWV 55:G8 dans un arrangement des
Counterpoints, et deux des six Sonates en
trio de 1718, celle en la mineur TWV
42:a1 et celle en sol mineur TWV 42:G9.
Giulia Nuti (clavecin) et Chiara Zanisi (violon) en l'église Saint-Barthélemy de La Chapelle-Montabourlet. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Le rendez-vous suivant était fixé en
l’église Saint-Barthélemy de La Chapelle-Montabourlet pour un autre programme
monographique, cette fois Johann Sebastian Bach titré « Six Sonates d’un goût
étranger, Hexachordum pour clavecin et violon », en fait une sélection
subjective des « meilleurs moments » (sic) organisé selon une gamme imaginaire
partant du do jusqu’au la des Sonates pour clavecin et violon BWV 1014-1019a du Cantor de Leipzig par un
duo féminin italien, la violoniste Chiara Zanisi à l’aigu flottant et la
claveciniste Giulia Nuti.
Ensemble La Guilde des Mercenaires, parc du château de Jauras. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Les quatre groupes se rejoignaient
finalement dans le parc du Château de Jauras pour un concert pédagogique intitulé
« Suonare in aria » consacré à la musique instrumentale et aux
« hauts instruments » de la Renaissance et du Seicento présentés et joués par La Guilde des Mercenaires du Normand Adrien Mabire basée en Bretagne mais constituée de musiciens venant d’Europe,
cette fois Benoit Tainturier (cornets et flute à bec), Jérémie Papasergio
(bassons et serpent), Simen Van Mechelen (saqueboutes et flûtes), Claire Mc Intyre
(Saqueboutes et flûtes), Michelle Claude (percussion) et Adrien Mabire
(cornets, flûtes et direction), avec des pages de Claudio Monteverdi (Toccata Orfeo Sinfonia, Moresca), Giovanni Battista Buonamente
(1595-1642) (Canzon a 5 Ballo del Gran
Duca), Josquin Desprez (1450-1521) et son célèbre Mille Regrets, Samuel Scheidt (1587-1654) (Gaillard Battaglia), Anthony Holborne (1545-1602) (Pavane The Funerals), Roland de Lassus
(1532-1594) (Susanne un jour), Toinot
Arbeau (1520-1595) (Belle qui tient ma
vie) et Michael Praetorius (1571-1621) et ses Danses de Terpsichore.
Ton Koopman, Amsterdam Baroque Orchestra en l'église abbatiale Saint-Cybard de Cercles. Photo : (c) Jean-Michel Bale
Mais le point d’orgue du
festival Itinéraire Baroque en Périgord était le fort attendu concert de clôture
dirigé par le directeur fondateur Ton Koopman à la tête de son Amsterdam
Baroque Orchestra (ABO) avec pour concert master Catherine Manson qui ont donné un programme monographique consacré à
Joseph Haydn (1732-1809) interprété avec un dynamisme flamboyant et une énergie
solaire et juvénile exaltés par les sonorités limpides et sensuelles de l’ABO de
trois des six Symphonies Parisiennes composées en 1785 et 1786
pour l’Orchestre de la Loge Olympique à Paris, les 83e en sol mineur « La Poule », 85e
en si bémol majeur « La Reine » et 82e en ut majeur
« L’Ours », auxquelles était associé le Concerto pour orgue en ut majeur Hob. XVIII:1 dirigé depuis l’orgue positif par Ton Koopman, qui
tout au long du concert a veillé à ce que les équilibres entre les pupitres des
cordes, réduits, les bois et les cuivres par deux, s’avèrent constants et
justes.
Mareuil en Périgord, vue sur l'église Saint-Pardoux. Photo : (c) Bruno Serrou
L’édition 2024 sera celle des
quatre-vingts ans de Ton Koopman, qui a choisi d'offrir à cette occasion à son public un programme entièrement consacré à la musique
de son compositeur favori, Johann Sebastian Bach, avec pour point d’orgue la Johannes Passion.
Bruno Serrou
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Huit questions à Ton Koopman
Ton Koopman en l'église abbatiale Saint-Cybard de Cercles. Photo : (c) Bruno Serrou
Bruno Serrou : Quand
et en quelles circonstances avez-vous créé le festival Itinéraire Baroque en
Périgord ?
Ton Koopman : Je l’ai créé en 2001. Mais nous n’en sommes qu’à la vingt-deuxième édition,
à cause de la parenthèse Covid-19. La première fois que je suis venu dans la
région c’était sur l’invitation de la mairie de Ribérac qui organisait un petit
festival baroque. Séduits par ce lieu splendide, ma femme et moi sommes revenus
dès l’été suivant. Non seulement parce que l’on y mange bien et que l’on y boit
de bon vins, mais surtout en raison du climat. Il fait chaud dans la journée et
les nuits sont fraîches. Nous avons un appartement à Vérone, et quand il fait
trente-quatre degrés à l’extérieur, nous avons trente-deux degrés à l’intérieur.
C’est trop chaud. Nous sommes donc revenus et nous avons constaté que le prix
des maisons n’était pas trop élevé. J’ai donc acheté une maison du début du XVIe
siècle que j’ai faite restaurer par un architecte des Monuments historiques. Nous
sommes les bienvenus dans notre hameau, au point que notre maire, parmi tous
les noms de rues possibles, a fait voter par son Conseil municipal un décret
attribuant à celle où j’habite celui de Route de la Musique. Nous nous sommes
trouvés si bien ici que nous nous sommes dit qu’il serait judicieux de créer
quelque chose pour ce comté si accueillant. C’est ainsi que j’ai fondé ce
festival, la première fois sans président, puis avec la présidence de Robert-Nicolas
Huet. J’ai décidé de m’en occuper gratuitement, considérant que je me devais de
contribuer à l’animation de cette région si belle et si obligeante. Tout le
monde à l’exception du président et de moi est payé, collaborateurs, jeunes
talents comme musiciens de renom.
B. S. : Malgré son
intitulé, le festival se limite-t-il à la période baroque ?
T. K. : Bien
qu’Itinéraire Baroque soit clairement dédié au répertoire baroque, cela ne nous
empêche pas de programmer de la polyphonie médiévale, de la musique de la
Renaissance jusqu’à l’époque classique. Mais la majorité de la programmation
est centrée sur le XVIIIe, avec un débord jusqu’au début du XVIIe,
et je pense que Haydn et Mozart sont encore le XVIIIe. Voilà peu de
temps encore, je n’appréciais pas beaucoup la musique de Beethoven, mais je
commence à comprendre ses Troisième, Quatrième et Cinquième Symphonies, et j’ai
déjà dirigé quinze fois la Neuvième.
J’aime beaucoup Mendelssohn-Bartholdy, sa Réformation
est très belle. Même si d’aucuns la considèrent un peu austère, le fait d’être
organiste me conduit à la comprendre pleinement. J’aime aussi la Lobgesang ; la musique du temps de Schumann,
et surtout de Brahms, mais j’en ai très peu fait, j’aime diriger son Requiem allemand et sa Quatrième Symphonie. La musique écoutée et
aimée dans ma jeunesse reste dans ma tête…
B. S. : L’âge moyen
du public est ici élevé. Que faites-vous pour attirer les jeunes ?
T. K. : J’organise avec ma petite-fille, qui a trente-neuf
ans, des concerts pour les enfants. Nous avons élaboré ensemble quatre
programmes que je joue seul à l’orgue, l’un consacré à sainte Cécile, un autre
à la saint Matthieu, un autre autour de Don Quichotte. Ce sont des spectacles
d’une heure et spécifique au jeune public. Nous tenons à ce que ces programmes
soient de grande qualité, et les retours sont excellents. Ces spectacles sont
donnés dans le cours de l’année scolaire. Nous sommes allés jusqu’à Lyon à deux
reprises à l’invitation de l’Auditorium Maurice Ravel, mais un changement de
direction nous a conduits à mettre un terme à cette collaboration. Nous avons
été jusqu’à Grenade, donnant avec l’Amsterdam Baroque Orchestra la Passion selon saint Jean, et j’ai aussi donné un
concert avec ma fille Marieke, chanteuse de jazz qui aime beaucoup la musique
baroque.
B. S. : Comment le
festival est-il financé ?
T. K. : Nous avons des subventions du Conseil Départemental de Dordogne-Périgord,
du Conseil Régional de la Nouvelle Aquitaine, de la DRAC et des communes de
Mareuil en Périgord, La Tour-Blanche-Cercles, Bourg-des-Maisons et la
Communauté de Communes du Périgord Ribéracois, ainsi que le soutien de
l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas, mais aussi des mécènes, notamment par le
biais d’un Club d’entreprises. Sinon nous ne pourrions rien faire et nous ne
pouvons pas demander aux musiciens de se produire pour rien, pas même à nos
amis.
B. S. : Est-ce à
votre orchestre que revient chaque année le concert de clôture du festival ?
T. K. : En principe
oui. Avant l’ABO commençait et concluait le festival. Mais depuis quelques
temps je confie le concert d’ouverture à un orchestre invité, cette année Opera
Fuoco de David Stern et Katharina Wolff. Parce que à un moment donné je finirai
par m’arrêter, mais le festival doit continuer sans moi, et l’année prochaine
j’aurai quatre-vingts ans.
B. S. : Vos programmations
ont elles des thématiques ?
T. K. : Non parce que je vois que les festivals qui en ont, le
plus souvent au potentiel fort intéressant et pourvus de très beaux titres, en
vérité ne s’y tiennent pas, et les rapports entre les œuvres programmées sont
plus ou moins tirés par les cheveux. Par exemple les Cantates profanes de
Bach… Je pense qu’ici nous élaborons de très beaux programmes sans pour autant
nous en tenir à des thématiques allant au-delà d’un concert. Pour l’année prochaine,
nous ferons une exception, le projet étant d’ores et déjà arrêté, voulant
centrer mon festival pour mes quatre-vingts ans sur l’œuvre de Johann Sebastian
Bach, mon compositeur favori, n’oubliant pas en outre que je suis titulaire
depuis 2006 de la médaille Bach qui m’a été remise par la Ville de Leipzig,
ainsi que du Prix Bach qui m’a été attribué en 2014 par la Royal Academy of
Music de Londres…
B. S. : Passé
quatre-vingts ans, envisageriez-vous d’arrêter le festival ?
T. K. : Sans doute pas tout de suite, mais je pense bel et
bien l’arrêter un jour. Il me faudra à un moment passer la main à un jeune. Je
n’arrêterai pas pour mes quatre-vingts ans, c’est jeune encore, mais je dois
penser pour l’après. Jusqu’à il y a deux ans j’enseignais encore à l’Université
de Leiden, en Hollande. J’aime beaucoup le contact avec les étudiants, et je
trouve regrettable que l’on ne chante plus dans les écoles, ce qui explique en
partie que le public devient toujours plus âgé, et cela dans tous les pays du
monde. C’est vraiment tragique. Les concerts pour les enfants doivent être
préparés à l’école. Ici, nous avons réuni neuf cents enfants en trois concerts
venus avec leur école dans le courant de l’année, et nous mesurons clairement
combien le travail fait en amont par les professeurs et leurs élèves est
remarquable.
B. S. : Envisagez-vous
aussi la dissolution de votre orchestre ?
T. K. : Je pense en effet l’arrêter. Nous jouons sans
subsides publics. Les subventions c’est moi qui les donne. Je paye tout.
Personne ne nous aide. Nous en avons eu, mais plus maintenant. Depuis déjà
quatorze ans, nous ne pouvons plus faire tout ce que nous voudrions. Avant,
c’était très facile avec les disques Erato. Nous pouvions enregistrer ce que
nous voulions, un coup de téléphone et le projet était accepté. Maintenant, je
peux faire la même chose mais je dois le demander à moi seul. Depuis 2003, j’ai
mon propre label discographique, à l’instar de Jordi Savall, qui a le sien.
C’est dommage, car les musiciens qui viennent de partout en Europe, dont
quatre à six Français, sont excellents.
Recueilli par B. S., à Cercles dimanche 30 juillet 2023
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