Comment le manuscrit autographe de la partition de Saint François d’Assise de Charles Gounod est entré à la Bibliothèque nationale de France 129 ans après sa création
Acquis le 14 juillet 2020 pour la
somme de 11.000 £ (1) lors d’une enchère chez Sotheby’s à Londres où il était
mis en vente pour la troisième fois en deux ans, le manuscrit de l’oratorio Saint François d’Assise de Charles
Gounod (1818-1893), l’auteur de Faust,
l’un des opéras les plus joués dans le monde, a longtemps fait l’objet de
fantasmes chez les musicologues qui en connaissaient l’existence par les échos
de sa création le Vendredi Saint 1891 en la chapelle du Conservatoire de Paris.
Œuvre en deux parties (La cellule, La mort) pour ténor, basse, chœur et
orchestre, elle appartient à la dernière période du compositeur, qui reste ici
dans un style dépouillé et sans affectation, d’une simplicité toute franciscaine.
Répertoire que Gounod fréquentait assidûment depuis sa jeunesse, et ce n’est qu’après
avoir hésité à embrasser la carrière ecclésiastique, qu’il opta pour la
composition, restant néanmoins fidèle à son idée première en signant quantité
d’œuvres d’inspiration religieuse. « Il y a deux natures en la personne
artistique de Gounod, écrivait son cadet Camille Saint-Saëns (1835-1921) : la
nature chrétienne et la nature païenne, l’élève du séminaire et le pensionnaire
de l’Ecole de Rome, l’apôtre et l’aède »
Disparu à la mort de Gounod, le
court oratorio Saint François d’Assise est mentionné pour la première
fois un siècle après sa première exécution en 1992 au détour d’une lettre de la
Supérieure Provinciale des Sœurs de la Charité de Saint Louis adressée à Pascal
Escande, directeur fondateur du Festival d’Auvers-sur-Oise. Y est évoquée
l’existence d’un manuscrit de Gounod resté depuis près d’un siècle dans la
bibliothèque de l’une de ses communautés, celle implantée à Vannes. « Venue à ma rencontre, se souvient Pascal Escande, afin
que je puisse lui dire si cette partition peut intéresser le Festival, tout en
attirant mon attention sur le fait qu’elle recevait régulièrement des demandes
d’antiquaires pour l’achet de quelques livres de sa bibliothèque et notamment
toujours ce manuscrit. Après qu’elle me l’eût confiée, j’ai constaté que
la partition, reliée plein cuir par l’ami peintre du compositeur Carolus Duran,
annotée et dédicacée par Gounod, correspondait au Saint François d'Assise. » Ce manuscrit, qui avait appartenu à la Mère Aimée de
Marie, supérieure de la Congrégation des sœurs de la Charité de Saint-Louis,
fut retrouvé après sa mort dans ses papiers sans aucune indication de
provenance. Depuis lors, l’œuvre a été conservée précieusement par la
Congrégation des Sœurs de la Charité de Saint-Louis, ce que personne ne savait,
pas même la famille de Gounod. La recréation a été donnée le 20 juin 1996 en la
cathédrale Saint-Maclou de Pontoise, reprise en 2016 toujours dans le cadre du
Festival d’Auvers-sur-Oise par Laurence Equilbey qui l’enregistrait en 2018 (2).
Mais le manuscrit original restait la propriété de la congrégation qui l’avait sauvegardé. Jusqu’à ce qu’il soit incidemment repéré dans un catalogue de vente Sotheby’s en décembre 2018. Vendu à Londres, il était impossible que la Bibliothèque nationale de France, qui était sur ses traces, le préempte, regrette Mathias Auclair, directeur du Département de la musique de la BnF, qui poursuit : « Considérant sa première estimation – plus de 15.000 £ -, il nous était inaccessible sans mécène. Par chance, il fut retiré de la vente. Il réapparaissait six mois plus tard. Ayant trouvé cette fois un mécène, l’AFER (3), grâce à Laurence Equilbey, nous nous sommes préparés à son acquisition, mais il fut de nouveau retiré. La troisième fois fut la bonne. » Ainsi, le 14 juillet 2020, le manuscrit rejoignait les trois millions de documents du fonds du Département musique de la BnF où il est désormais accessible au public, consultable sur place, rie de Richelieu à Paris, comme sur le site Internet de la BnF (4). « Le seul critère d’acquisition de la Bibliothèque nationale de France, remarque Mathias Auclair, est l’utilité des documents pour les chercheurs et pour la pérennité de la vie de l’œuvre. Ainsi, nous venons d’acquérir, toujours de la main de Gounod, cent vingt huit pages autographes de musique inconnue de son Faust. »
Bruno Serrou
1) Plus frais et taxes soit
13.750 £. 2) 1 CD Naïve 3) Association Française d’Epargne et de Retraite 4) www.bnf.fr/fr/departement-de-la-musique