jeudi 29 septembre 2016

CD : Martha Argerich et Itzhak Perlman, rencontre au sommet de deux géants dans Schumann, Brahms et Bach


Deux géants de leur génération se retrouvent pour la première fois réunis sur un même support discographique, Martha Argerich et Itzhak Perlman. Avant la réalisation de ce CD, la pianiste argentine et le violoniste états-uniens s’étaient produits ensemble une seule fois, le juillet 1998à New York, Saratoga Performing Arts Center. Ce soir-là, ils avaient joué la Sonate pour violon et piano n° 1 en la mineur op. 105 que Robert Schumann a composée en 1851. Un petit quart d’heure de musique heureusement capté live, préservé et publié ici pour la toute première fois. Il est complété par trois œuvres enregistrées en studio fin mars 2016 à Paris, Salle Colonne, une semaine avant le concert de Perlman à la Philharmonie (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2016/04/itzhak-perlman-radieux-attire-les.html). Argerich, qui avait enregistré les deux sonates de Schumann avec Gidon Kremer pour DG, trouve en Perlman un partenaire du même acabit, les deux musiciens suscitant de ces pages passionnées une interprétation flamboyante et chaleureuse, les deux artistes exaltant un plaisir de jouer ensemble particulièrement contagieuse.

Photo : (c) Jean-Baptiste Millot / Warner Classics

Les Trois Fantasiestücke pour violon et piano op. 73 de 1849 du même Robert Schumann sont à l'origine pour clarinette et piano. Mais il existe également des transcriptions pour violon, alto et violoncelle. Toutes ces associations ont leur cachet, même si naturellement la couleur si caractéristique de l’instrument à anche est plus chaude et mélancolique que les autres, à l’exception de l’alto, qui est dans le même registre que la clarinette. Ce que font ici Argerich et Perlman est d’une pureté absolue. L’entente entre les deux musiciens est tout aussi éclatante dans le Scherzo de la Sonate F-A-E que Schumann commanda à Johannes Brahms en 1853 et que le duo transcende.

Photo : (c) Jean-Baptiste Millot / Warner Classics

La dernière œuvre du programme peut constituer en en soi une surprise, mais elle s’avère en fait une sorte de référent. Il s’agit en effet de la Sonate pour clavier violon n° 4 en ut mineur BWV 1017 de Jean-Sébastien Bach, en fait une pièce tirée des sonates en trio écrites par le futur Cantor à Cöthen, que Martha Argerich interprète pour la première fois. L’on y trouve dans le largo du mouvement initial le thème de l’aria Erbarme dich que Bach reprendra et développera à Leipzig  dans sa Passion selon saint Matthieu. Du violon de Perlman émane une lumière incandescente rehaussée par le piano céleste d’Argerich.

Un disque enchanteur à se procurer coûte que coûte.

Bruno Serrou

1 CD Warner Classics 0190295937898. 50mn 58s. Enregistré en 1998 et 2016. 

lundi 26 septembre 2016

Le Festival Musica de Strasbourg : œuvres de Dusapin, Essyad, Henry, Kurtag, Stroppa, membres du GRM…

Strasbourg. Musica 2016. Le Point d’Eau (Ostwald), Eglise réformée du Bouclier, Salle de la Bourse, Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, Auditorium France 3 Alsace, Auditorium de la Cité de la musique et de la danse. Vendredi 23, samedi 24 et dimanche 25 septembre 2016

Photo : (c) Bruno Serrou

Premier week-end du Festival Musica de Strasbourg comme d'habitude surcharge de rendez-vous, comme si les programmateurs étaient pris par la crainte de manquer au risque de perdre leur public. 

Photo : (c) Bruno Serrou

Après deux soirées cinéma et musique, l’opéra filmé Giordano Bruno de Francesco Filidei créé sur scène lors de l’édition 2015 du festival, et le ciné-concert du Philharmonique de Strasbourg sur le film de Stanley Kubrick 2001 : l’Odyssée de l’espace, la véritable ouverture de Musica s’est faite avec une création de Pierre Henry, Chroniques terriennes, commande du Festival que le compositeur de 90 ans a pu honorer malgré la maladie. 

Portrait de Pierre Henry projeté sur écran géant et quelques-uns des quatre vingt dix haut-parleurs nécessaires à l'exécution de ses oeuvres. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est donc en l'absence de Pierre Henry que cette première a été supervisée par l’un de ses proches, le « metteur en sons » Thierry Balasse, qui le remplaçait à la console. Beaucoup de jeunes dans la salle, comme à chaque concert du « pape de la techno ». Pourtant, cette pièce est beaucoup trop longue (soixante-deux minutes et tourne vite sur elle-même, avec d’interminables cymbalisations de cigales et caracoulements de pigeons. La seconde pièce, Dracula, plus courte d’une dizaine de minutes, remonte à 1962. S'il n'y avait le montage d'extraits symphoniques de l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner, le travail de Pierre Henry se réduirait à trois fois rien, ajoutant charnières grinçantes, hululements, orages, cavalcades en tout genre.

Concert 2 du GRM; Giuseppe Ielasi aux manettes pour son Untitled January 2014. Photo : (c) Bruno Serrou

Musica a profité de ce concert-hommage à l’un des pères de la musique concrète et de la présence d’une centaine de haut-parleurs pour consacrer deux performances au GRM (Groupe de Recherche Musicale) fondé par Pierre Schaeffer et Pierre Henry au tournant des années 1940-1950, la première voué aux aînés (Pierre Schaeffer, Bernard Parmegiani, Luc Ferrari, François Bayle), l'autre â la nouvelle génération (Vincent-Raphaël Carinola, eRikm, Giuseppe Ielasi, suivis d’une pièce du directeur de l’INA-GRM, Daniel Teruggi). Si les pionniers avaient une réelle créativité, c’est moins le cas de leurs cadets.

Pascal Dusapin, Alexander Liebreich, Münchener Kammerorchester et RIAS Kammerchor. Photo : (c) Bruno Serrou

Première expérience personnelle d’un concert Musica dans l'enceinte de la somptueuse cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, l'Orchestre de Chambre de Munich et le Chœur de Chambre RIAS (Radio de Berlin) dirigés par Alexander Liebreich ont ouvert leur prestation sur un admirable Responsorio delle Tenebre (Répons des Ténèbres) pour ensemble vocal a capella de Salvatore Sciarrino (né en 1947). Ecrit pour chœur, glass harmonica, percussion, timbales et orchestre à cordes sur un dialogue entre un proche de Charlemagne, le poète-savant-théologien anglais Alcuin (732-804), et l’un de ses élèves Disputatio de Pascal Dusapin, déjà entendu â Paris en 2014, a remarquablement sonné dans l’acoustique réverbérante de la cathédrale, cette œuvre de quarante minutes acquérant ainsi une ampleur impressionnante. Pour conclure ce concert, une belle interprétation du Requiem de Maurice Duruflé (1902-1986) dont la proximité avec les partitions de deux cadets rend cette œuvre désuète ou décalée bien que son auteur fût un contemporain d’Olivier Messiaen. 

Diana Soh et le Quatuor Adastra. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans le domaine de la musique de chambre, la découverte dans la série « Jeunes talents » d’un quatuor d’archets, le Quatuor Adastra, élève du Conservatoire et de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg/HEAR, s’est révélé être un beau moment de musique avec un programme supérieurement élaboré réunissant des œuvres d’une jeune coréenne, Diana Soh (née en 1984), qui a attribué à sa pièce pourtant attachante un titre prétentieux et abscons, à des pages du Hongrois György Kurtag (né en 1926), du référent Anton Webern (1883-1945) et le Quatuor n° 3 de Pascal Dusapin. 

Pierre-Laurent Aimard, Mark Simpson et Antoine Tamestit. Photo : (c) Bruno Serrou

Autre concert chambriste, celui de dimanche matin comme seul sait en concocter le pianiste Paul-Laurent Aimard entouré du clarinettiste Mark Simpson et de l’altiste Antoine Tamestit autour de György Kurtag, pour ses quatre vingt dix ans, et Robert Schumann (1810-1856), avec l’Hommage à R. Sch. du premier, et un mouvement des Bunte Blätter et du Märchenbilder ainsi les Märchenerzählungen du second, auxquels s’ajoutaient l’Hommage à Gy. K. de Marco Stroppa (né en 1959).

Ahmed Essyad (au centre), entouré (de gauche à droite) de Léo Warynski, Sandrine Abello, Olivier Achard et Vincent Monteil. Derrière l'ensemble orchestrakl du Conservatoire de Strasbourg et le Choeur de l'Opéra de Strasbourg. Photo : (c) Bruno Serrou

Côté lyrique, Musica a proposé ce premier week-end la création mondiale du sixième ouvrage lyrique du Franco-Marocain Ahmed Essyad, Mririda, commande de l’Opéra du Rhin sur un livret de Claudine Galea. Cet ouvrage est consacré à la figure féminine de la poétesse maghrébine Mririda qui, dans les années 1920, a tenté d’enrayer le cycle infernal de la destruction et de la mort, et qui était considérée à l’époque comme une prostituée en raison de la liberté inextinguible qui gouvernait son action. Œuvre sensible et d’une authenticité à fleur de peau, sur une musique dans la filiation de la Seconde Ecole de Vienne, l’opéra de chambre Mririda a été interprété par la jeune troupe de chanteurs de l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin animé par Vincent Monteil, avec en tête de distribution l’excellente soprano italienne Francesca Sorteni dans le rôle-titre, les jeunes instrumentistes de l’Ensemble orchestral d’élèves du Conservatoire de Strasbourg excellemment préparé par le clarinettiste Armand Angster, et des élèves comédiens du cycle à orientation professionnelle du Conservatoire de Strasbourg. Seul le Chœur de l’Opéra du Rhin est constitué de professionnels, mais si peu aguerris à la création que l’effectif choral a dû être placé dans la fosse pour pouvoir chanter partition en main. Si la mise en scène et le décor d’Olivier Achard ont donné dans l’économie, le chef Léo Warynski, directeur de l’ensemble Multilatéral et de l’ensemble vocal Les Métaboles, a donné toute la dimension et la force évocatrice de l’œuvre.

Bruno Serrou


Jusqu’au 8/10. Rés. : +33 (0)3 88 23 47 23. www.festival-musica.org

jeudi 22 septembre 2016

Avec Eliogabalo dirigé avec allant par Leonardo García Alarcón, Cavalli investit enfin l’Opéra de Paris

Paris. Opéra de Paris-Garnier. Lundi 19 septembre 2016.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

L’un des plus grands compositeurs d’opéra du seicento, Francesco Cavalli (1602-1676), entre enfin à l’Opéra de Paris, trois cent quarante ans après sa mort. Il fut pourtant choisi par le cardinal Mazarin pour composer un opéra en vue des célébrations du mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne, Marie-Thérèse le 9 juin 1660. En naîtra Ercole amante (Hercule amoureux), créé Théâtre des Machines du Louvre à Paris le 7 février 1662, avec des ballets ajoutés confiés à Jean-Baptiste Lully. Malgré la forte réputation internationale du Vénitien, les velléités du jeune florentin de trente ans son cadet allaient rapidement avoir raison de l’aîné, qui retourna à Venise pour y terminer ses jours.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

C’est avec Eliogabalo (Héliogabale), le dernier de ses opéras dont la musique a été préservée (les deux ultimes ouvrages scéniques sont perdus), que Cavalli fait son entrée à l’Opéra de Paris, trente-cinq ans après la reprise à trois siècles de distance d’Ercole amante au Théâtre du Châtelet dans une production venue de l’Opéra de Lyon dirigée par Michel Corboz et mise en scène par Jean-Louis Martinoty. Ecrit sur un livret d’un auteur anonyme, jamais représenté du vivant du compositeur (il ne sera créé qu’en 1999 pour l’inauguration du nouveau Teatro San Domenico de Crema), Eliogabalo plonge dans l’histoire, en puisant sa source dans l’antiquité romaine, au début du troisième siècle de notre ère, à l’instar du Couronnement de Poppée (1642) de Claudio Monteverdi, qui fut le maître de Cavalli.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Noircie par les historiens, la biographie de l’empereur Héliogabale (204-222), qui régna moins de quatre ans avant d’être assassiné par la plèbe, est sulfureuse. Prodigue et démagogue, allant jusqu’à imposer le culte solaire, gouverné par sa grand-mère et sa mère à qui il laissa le pouvoir, la légende veut qu’il eût une sexualité ambiguë, étant davantage attiré par les hommes que par la gent féminine, et organisant des orgies publiques qui choqueront les chroniqueurs romains. C’est ce que résume le livret de l’opéra de Cavalli qui fait d’Héliogabale un Don Juan primaire, avec deux couples menacés par l’empereur et ses sbires. Comme dans tous ses ouvrages lyriques, Cavalli reste fidèle au schéma des derniers opéra de Monteverdi, accordant une très grande importance au théâtre, associant la comédie à la tragédie, et l’on retrouve, en plus développé, l’esprit du sublime finale du Couronnement de Poppée, cette fois non pas à deux voix mais à quatre. Comme son maître, il refuse aux excès du bel canto pour développer un recitativo cantando vif et spontané ponctué d’extraordinaires envolées lyriques et d’une dizaine de lamenti tous plus somptueux les uns que les autres.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

D’où l’importance d’une diction sans défaut. Et c’est le cas du cast qu’a réuni l’Opéra de Paris. A commencer par Franco Fagioli, Héliogabale parfait mégalomane cruel, à la voix de contre-ténor puissante, tandis que le second contre-ténor, Valer Sabadus en commandant de la garde prétorienne Giuliano, est trop effacé. Les trois ténors jouent dans le même registre : en Alessandro, héritier d’Héliogabale, Paul Groves impose sa puissance et son assurance, tandis qu’Emiliano Gonzalez Toro (Lania) et Matthiew Newlin (Zotico) sont deux sbires hauts en couleur. Côté femmes, Nadine Sierra est une Gemmira, sœur de Giuliano, dense à la voix étoffée mais flexible, les deux autres sopranos, Elin Rombo et Mariana Flores, font de leurs rôles secondaires, respectivement la jeune noble Eritea et la jeune aristocrate Atilia Macrina, des personnages habités.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Après un premier acte manquant de ressort et se diluant plus ou moins, Leonardo García Alarcón, en familier de Cavalli qu’il est, anime avec un sens du aigu des contrastes et de la narration tragi-comique les deux derniers actes d’une force et d’une diversité de ton particulièrement prenantes. Ayant lui-même défini l’orchestration utilisée pour les représentations de l’Opéra de Paris adaptée aux dimensions de la fosse et de la salle Garnier (six violons, trois altos, deux violes de gambe, trois violoncelles, violone, contrebasse, trois flûtes à bec, deux cornets, deux saqueboutes, trois clavecins, orgue, harpe, dulciane, théorbe, deux archiluths, deux guitares, deux percussionnistes), le chef argentin dirige avec allant sa somptueuse Cappella Mediterranea et son excellent Chœur de Chambre de Namur, qui s’exprime lui aussi dans la fosse.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Pour sa première mise en scène lyrique, Thomas Jolly donne dans le minimalisme, dans un décor de Thibaud Fack réduit aux acquêts, noir profond, avec un grand escalier en deux parties, la première de la fosse au plateau, la seconde de la fosse à un praticable, évitant ainsi la pompe romaine et le kitch baroque. Le tout est éclairé a minima par Antoine Travert avec une quinzaine de spots mobiles dont les rais blancs aveuglent parfois violemment le public, sans doute censés représenter les rayons du soleil dont Héliogabale se déclarait être l’incarnation terrestre. La direction d’acteur de Jolly est en revanche au cordeau, même si, de la place qui m’avait été attribuée le soir de la première il m’était impossible d’en mesurer toutes les subtilités. Ici, comme dans quantité de productions lyriques, un troupeau d’éphèbes plus ou moins nus chorégraphiés par Maud Le Pladec occupent l’espace et comblent les vides.


Bruno Serrou

Le Festival de Laon, vitrine de l’action culturelle d’un département rural pour la promotion de la musique

Laon (Aisne). Festival de Laon. Cathédrale Notre-Dame. Vendredi 9 septembre 2016

Photo : (c) Bruno Serrou

Cité de vingt-cinq mille habitants, préfecture de l’Aisne riche de l’une des plus belles cathédrales de France, Laon a depuis 1989 son propre festival. Ce dernier se tient en septembre dans l’enceinte de ce site majestueux qui domine d’une centaine de mètres la plaine environnante.

Photo : (c) Bruno Serrou

Créé voilà vingt-sept ans par Jean-Michel Verneiges, délégué départemental  à la musique, le Festival de Laon a pour particularité de se dérouler au tournant de l’été et de l’automne dans une zone de chalandise assez limitée, puisque la population du département de l’Aisne est l’une des moins denses de France, avec cinq cent quarante mille habitants de huit cents communes réparties sur sept mille trois cents kilomètres carrés. « La musique est au cœur de la politique culturelle du département et des communautés de communes avec une priorité portée sur l’éducation et de la diffusion musicale », s’enthousiasme Verneiges. Considéré comme territoire rural, situé entre Ile-de-France et Champagne, intégré aux Hauts-de-France, avec au sud Soissons, au nord Saint-Quentin et à l’est Château-Thierry, l’Aisne s’est doté en peu d’années d’outils culturels particulièrement efficaces. Ainsi, Soissons est désormais pourvu d’une Cité de la musique et de la danse où François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles sont en résidence pour travailler avec des orchestres amateurs, notamment dans le cadre de DESMOS (1) destinés les enfants de 7 à 12 ans. L’Aisne compte vingt-quatre structures d’enseignement de la musique, qui accueillent quelque cinq mille élèves. La pédagogie est coordonnée dans le cadre de rencontres régulières des directeurs d’établissements. Il convient d’ajouter les actions avec l’Education Nationale,  écoliers et collégiens assistant aux répétitions et aux concerts. Nous touchons ainsi plus de vingt-cinq mille personnes. Ce réservoir est un terreau pour la salle de concerts de Soissons et pour les deux festivals saisonniers, le premier se déroulant au printemps en l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache, voué à la musique baroque, le second en septembre, à Laon, axé sur les musiques symphonique et chambriste. « Avec les concerts de Soissons et les deux festivals, l’offre de concerts atteint les quatre vingt dix manifestations dont le taux de remplissage est de quatre vingt dix pour cent », se félicite Verneiges.

Festival de Laon, cathédrale. Gauthier Capuçon, David Zinman et l'Orchestre Français des Jeunes. Photo : (c) Bruno Serrou

Orchestre Français des Jeunes, David Zinman et Gautier Capuçon

Sept week-ends de rang, de début septembre à mi-octobre, le Festival de Laon propose en plusieurs lieux de la préfecture de l’Aisne, dont la remarquable cathédrale Notre-Dame, et à Soissons, dont la Cité de la musique et de la danse, des concerts courant du XIXe au XXIe siècle, cette année de Mozart et Méhul, ce dernier en association avec le Palazzetto Bru Zane, à Dutilleux et Boulez. C’est dire l’efficacité du travail réalisé sur le terrain tout au long de l’année par les diverses institutions culturelles de l’Aisne. Ainsi, dans une cathédrale de Laon bondée, l’Orchestre Français des Jeunes et son directeur musical David Zinman ont donné un programme exigeant, associant le superbe Concerto pour violoncelle « Tout un monde lointain » d’Henri Dutilleux, joué avec intensité et retenue par un Gautier Capuçon réfléchi et musical tandis que l’OFJ s’imposait par la fluidité, la transparence des texture, l’élasticité des pupitres. En revanche, la Marche écossaise de Claude Debussy s’est avérée touffue, quant à la Symphonie n° 3 de Serge Rachmaninov, difficile parce que déséquilibrée et peu inspirée, n’était pas adaptée à la mise en valeur des qualités certaines de ces jeunes musiciens.

Bruno Serrou

1) Jusqu’au 16 octobre 2016. Réservations. : 03.23.20.87.50. www.festival-laon.fr. 2) Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, projet expérimental d’apprentissage musical par la pratique orchestrale

mercredi 21 septembre 2016

La Manon pleine de panache de Patricia Petibon mise en scène par Olivier Py

Genève (Suisse). Opéra. Théâtre des Nations. Lundi 12 septembre 2016

Photo : (c) GTG / Carole Parodi

Après Olympia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach et Lulu de Berg dans les années 2000, Patricia Petibon retrouvait Olivier Py à Genève pour une Manon de Jules Massenet stupéfiante. Manon est l’un des opéras français les plus populaires. Il a presque à lui seul forgé la réputation du compositeur, dix ans avant Werther et douze ans avant Thaïs. Cette œuvre en cinq actes repose sur un livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille adapté du roman-mémoires de l’abbé Prévost (1697-1763), l’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, sans doute inspiré de ses propres aventures et que le Parlement de Paris fit saisir et condamner à l’autodafé par deux fois.

Photo : (c) GTG / Carole Parodi

A Genève, Olivier Py et son scénographe Pierre-André Weitz transposent l’action dans une rue de Chicago des années 1930 bordée d’hôtels borgnes, de tripots clandestins, de night-clubs du temps de la prohibition. Comme c’est souvent le cas, le metteur en scène français trouve aussi dans Manon le sens de la fête, de la fresque et du drame. Sur un plateau saturé d'accessoires, tandis que des silhouettes noires poussent furtivement un décor cadre de scènes de la vie quotidienne d'une mégapole comme autant de plans simultanés de film, Py ajoute une guirlande de personnages venus du chœur ou muets, tous plus colorés les uns que les autres, adjoignant en outre des danseurs, le plus souvent nus. Ce qui laisse désormais le public genevois de marbre, tant Py l’a habitué depuis 15 ans à cette condition. Finement portraiturée par Py, ardente et passionnée, pleine de panache, la jeune Manon est attendrissante et débordante de vie, un être libre, innocent et sans calcul. Autour d’elle, un monde d’hommes plus nuisibles et lâches les uns que les autres. Ce qui fait de la sacrifiée la sœur de Carmen et Lulu.

Jules Massenet (1842-1912), Manon. Paricia Petibon (Manon, Bernard Richter (Chevalier Des Grieux). Photo : (c) GTG / Carole Parodi

Magnétique et sensuelle, voix lumineuse, corsée, égale, flexible, Patricia Petibon est une fascinante Manon. La prestance juvénile, mobile et d’une agilité féline, la soprano colorature embrase le plateau. Face à elle, un séduisant chevalier Des Grieux, Bernard Richter, noble et empressé. Voix suave et éclatante, le ténor suisse est d’une grande musicalité. Pierre Doyen est un Lescaut puissant et sans vergogne, Rodolphe Briand, excellent comédien et ténor à la voix de caractère, est un Cuillot de Morfontaine venimeux. Les rôles secondaires sont bien tenus, avec notamment un avenant trio de grisettes (Seraina Perrenoud, Mary Feminear, Marina Viotti), un mordant Brétigny (Marc Mazuir). Seul, de cette distribution à l’articulation impeccable, la basse hongroise Balint Szabo dénote en Comte Des Grieux, avec son français chancelant et sa voix chevrotante. Le chœur et surtout l’Orchestre de la Suisse Romande rutilent sous la direction fébrile du chef slovène Marko Letonja.

Bruno Serrou

Article paru dans le quotidien La Croix du 19 septembre 2016


mardi 6 septembre 2016

Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berlin ouvrent en beauté la saison 2016-2017 de la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Vendredi 2 septembre 2016

Photo : DR

Parisien pendant quinze ans, de 1975 à 1989, comme directeur musical de l’Orchestre de Paris, à la tête de l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin depuis sa nomination comme directeur musical général de la Staatsoper unter den Linden en 1992, orchestre dont il est chef à vie depuis 2000, Daniel Barenboïm et sa phalange berlinoise ont ouvert vendredi la saison symphonique parisienne à la Philharmonie.

La Staatskapelle Berlin est l’une des orchestres les plus anciens, puisqu’il a été fondé voilà quatre siècles et demi, en 1570 précisément. Jusqu’en 1918, il a porté le nom de Königlische Preussische Hofkapelle (Chapelle royale de la Cour de Prusse), et Richard Strauss en fut le titulaire pendant vingt ans, de 1898 à 1918, comme directeur de la Hofoper et de son orchestre. Après la Première Guerre mondiale, le compositeur chef d’orchestre bavarois en restera chef invité privilégié, et il enregistrera plusieurs fois ses propres œuvres symphoniques avec lui. L’érection du mur de Berlin en 1961 fut la cause d’un certain  oubli, jusqu’à ce que, deux ans après la chute du mur, Barenboïm en accepte la direction. Aujourd’hui, il se produit non seulement dans la fosse et sur le plateau de l’Opéra d’Etat de Berlin, mais aussi dans la célèbre Philharmonie, et donne chaque année un concert gratuit en plein air, au cœur de la capitale allemande, le Staatsoper für alle.

Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berlin. Photo : (c) Bruno Serrou

Les Parisiens ont eu depuis les années 1990 nombre d’occasions d’entendre Barenboïm et son orchestre, particulièrement Théâtre du Châtelet, autant en concert que dans des productions lyriques. Ce n’est pas la première fois que le binôme se produit à la Philharmonie, et Daniel Barenboïm en maîtrise déjà les particularités acoustiques et les équilibres, comme en témoigne la disposition de l’orchestre, avec contrebasses alignées derrière les cuivres, trompettes côté jardin et les cors à cour devant les timbales, trombones et tuba au centre, premier et seconds violons côte-côte, violoncelles et altos côté cour.

Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berin. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Cette fois c’est une intégrale des symphonies d’Anton Bruckner que le pianiste chef d’orchestre argentino-israélo-hispano-palestinien présente à Paris avec son orchestre allemand, mettant chacune en regard d’une œuvre concertante de Mozart, avec plusieurs solistes, dont lui-même au piano. C’est avec le vingt-quatrième des concertos pour piano qu’il a ouvert le cycle. Dans ledit Concerto pour piano et orchestre n° 24 en ut mineur KV. 491, Barenboïm, comme il le fait depuis les années 1970, a dirigé depuis son grand Steinway, dos au public entouré des musiciens d’un somptueux orchestre berlinois. Dans des tempi plutôt lents, cette partition au caractère dramatique a atteint une atmosphère quasi brucknérienne - en beaucoup moins cuivré, bien sûr -, tandis que le dialogue s’est avéré particulièrement équilibré entre le soliste, les pupitres soli et les tutti, particulièrement lumineux.  

Photo : (c) Bruno Serrou

Comme pour Mozart, et en disciple déclaré de Wilhelm Furtwängler, Daniel Barenboïm est depuis toujours singulièrement à l’aise dans l’œuvre brucknérien. En effet, dès l’époque où il était à la tête de l’Orchestre de Paris, il programmait régulièrement l’une ou l’autre symphonie du maître de Saint-Florian, et, lorsqu’il fonda le Chœur de l’Orchestre de Paris, une messe, un motet, le Te Deum ou Helgoland. Au disque, il en est à trois intégrales « officielles » des symphonies (1), la dernière en date, enregistrée avec la Staatskapelle Berlin, étant parue sous le label Peral Music. La Symphonie n° 4 en mi bémol majeur qualifiée par son auteur de « Romantique », est avec les Septième, Huitième et Neuvième, l’une des œuvres les plus accomplies de Bruckner. Pourtant, pour le compositeur autrichien, aucune œuvre ne pouvait être terminée, la musique étant une perpétuelle expansion vers l’infini. En effet, conçue en un peu plus de dix mois en 1874, profondément remaniée trois fois par la suite, jusqu’à ce que le compositeur s’en déclare enfin satisfait un jour de 1888, la Quatrième semble pourtant couler de source, tant l’on n’y perçoit aucune contrainte, au point qu'il s'agit aujourd’hui de l’une des pages les plus prisées de Bruckner. Daniel Barenboïm en a donné vendredi une interprétation au cordeau, toute en tensions, extension et d’un lyrisme effervescente, tandis que l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin s’est montré virtuose, d’une homogénéité saisissante, avec ses cuivres rutilants - à l’exception du premier cor solo, qui n’est pas apparu sous son meilleur jour, quoiqu’en ait jugé le chef, qui l’a félicité à la fin de l’exécution, et le public, qui l’a ovationné lorsque Barenboïm l’a invité à saluer -, tandis que les bois se sont imposés par leur vélocité et leur sonorités soyeuses, tandis que les cordes ont rivalisé de panache et de syncrétisme, altos, violoncelles et contrebasses onctueuses, violons flamboyants.

Bruno Serrou

1) Il est même l’un des rares chefs à avoir enregistré la Symphonie n° 0 en ré mineur que Bruckner rejeta de son catalogue à l’instar de la Symphonie n° 00. Cet enregistrement réalisé avec le Chicago Symphony Orchestra et publié chez DG, associe deux autres œuvres rares de Bruckner, Helgoland et le Psaume CV. Son intégrale EMI avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin vient d'être rééditée chez Warner Classics - ainsi que celle des Concertos pour piano de Mozart avec l'English Chamber Orchestra publiée ce mois-ci -, tandis que la dernière à ce jour, avec la Staatskapelle Berlin, est parue chez Peral Music.