Paris, Festival ManiFeste, Le Cent-Quatre, salle 400, samedi 28 juin
2014
George Benjamin (né en 1960), professeur de la master class de composition lyrique de ManiFeste. Photo : DR
Un concert façon Cursus de
l’IRCAM, telle était la forme du rendez-vous proposé samedi par le festival ManiFeste
à quelques encablures de la Cité de la Musique, au Cent-Quatre, par l’Ensemble
Intercontemporain. Il s’est agi d’une soirée réunissant les travaux de six
étudiants des master classes de composition animées par George Benjamin dans le
cadre de l’Académie ManiFeste de l’IRCAM, héritière du Centre Acanthes de
Claude Samuel.
George Benjamin a présenté au
public venu en nombre au Cent-Quatre, malgré l’environnement particulier du
lieu, assister à ce concert organisé en association avec les Ensemble EXAUDI et
Intercontemporain sa master class dont le thème était l’opéra par le biais de
la composition d’une scène dramatique. « J’ai rencontré dans ce cadre des
jeunes qui n’avaient jamais entendu et côtoyé de chanteurs, s’est étonné
Benjamin. Il est vrai que cette génération est principalement préoccupée d’électronique
et autres outils modernes. C’était donc une gageure pour eux que d’écrire pour
la voix et pour un instrumentarium conventionnel sans informatique. »
Juan de Dios Magdaleno (né en 1984). Photo : (c) Luc Hossepied/Ensemble Intercontemporain
Les
étudiants avaient pour contrainte d’écrire pour deux des voix (soprano, basse)
de l’ensemble britannique EXAUDI et quinze instrumentistes (flûte, hautbois,
clarinette, clarinette basse, basson, cor, trompette, trombone, percussion,
harpe, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) de l’Ensemble Intercontemporain.
Présentées par groupes de trois, les six œuvres élaborées dans le cadre de la
classe de maître étaient précédées de deux paires de pages de quatre de leurs
aînés, un trio de Peter Eötvös, un second trio de Matthias Pintscher, un solo
de George Benjamin et un duo de Chaya Czernowin, seule compositrice de la
soirée, puisque, étonnamment, aucune jeune femme n’a été retenue par l’Académie…
Ces derniers ont eu la latitude de choisir la langue du livret qu’ils
entendaient mettre en musique, pourvu que ce soit non pas de la poésie mais un texte
dramatique à forte connotation dramaturgique, puisqu’il s’agissait non pas de
mélodie mais d’une scène lyrique.
Sérgio Rodrigo (né en 1983). Photo : DR
Le jeune mexicain Juan de Dios
Magdaleno (né en 1984), violoniste, mathématicien et architecte de formation, a
opté pour un texte allemand de Johann Baptist von Alxinger tiré de la Médée d’Euripide qu’il a intitulé Die Tragödie der Distanz. Il en a souligné
les tensions dramatiques par l’exploitation de tous les modes d’expression
vocale, du parlé au chanté, donnant à la formation instrumentale la prestance d’un
troisième personnage de la tragédie. Son confrère brésilien Sérgio Rodrigo (né
en 1983) a pour sa part choisi d’associer un extrait de Mrs Dalloway de la romancière anglaise Virginia Woolf à un
passage de The Pillow Book de l’auteur
japonaise du XIe siècle Dame Sei Shōnago,
ce qui suscite une musique colorée et polymorphe que l’on peut pleinement apprécier
dans l’introduction instrumentale, tandis que les voix sont quasi exclusivement
traitées en parlando.
Fabià Santcovsky. Photo : DR
Le compositeur
espagnol Fabià Santcovsky, physicien de formation, a présenté Arbrée « El enamoramiento de Titiro »
fondé sur Dialogue de l’arbre de Paul
Valéry chanté en français. Le ton est à la déclamation continue, et il s’y
trouve une musique raréfiée, comme si le compositeur avait été intimidé par la
portée du dialogue en prose entre Lucrèce et Tityre de Valéry.
Zeno Baldi (né en 1988). Photo : DR
La seconde vague
de trois créations s’est ouverte sur Buonadomenica
de l’Italien Zeno Baldi (né en 1988), qui a choisi un extrait dans sa
langue de Pornobboy de ses
compatriotes Enrico Castellani et Valeria Raimondi pour concevoir une partition
ludique jouant de l’imitation du train et de la résonance pour se conclure sur
les harmoniques du violoncelle et de la contrebasse.
Stylianos Dimou (né en 1988). Photo : DR
Le Grec Stylianos Dimou (né
en 1988) a opté pour l’anglais pour son enigma’s
‘’I’’ : away from [Anit] sur un texte de Mela Gerofoti sur lequel le
compositeur joue de sons exhalés et frottés tels le souffle autant par la voix
de la soprano que par les quinze instruments. Un souffle vers lequel l’œuvre tend
avant de conclure sur le mot « away » exposé comme en expirant.
Michael Cutting. Photo : DR
La
dernière pièce, clock in, on, out sur
un poème de Robbie Gardiner, était signée du Britannique Michael Cutting, qui,
dans ses premiers instants, use du bruit blanc et de l’humour pimpant, et sonne
comme une page de Bartók. Remplaçant Matthias Pintscher retenu à New York,
Julien Leroy a excellemment dirigé l’Ensemble Intercontemporain, soutenant avec
délicatesse et une vigilance de tout instant les deux solistes d’EXAUDI, la
soprano Juliet Fraser et la basse Jimmy Holliday.
Juliet Fraser (soprano), Julien Leroy (direction), Jimmy Holliday (basse) et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Ensemble Intercontemporain
Avant chaque vague d’œuvres nouvelles
des jeunes compositeurs, les solistes de l’Intercontemporain ont interprété de
courtes pièces de quatre aînés. Tout en intériorité, Psy pour flûte en sol/piccolo, violoncelle et harpe (1996-1997) de
Péter Eötvös (né en 1944) a été interprété avec délicatesse et minutie par Emmanuelle
Ophèle, Frédérique Cambreling et Eric-Maria Couturier. Cette interprétation d’une
œuvre intimiste a malheureusement été perturbée par des retardataires indiscrets
faisant lourdement claquer leurs chaussures sur les marches métalliques, par un
fauteuil au ressort bruyant et par une sonnerie interminable d’iPhone… Jeanne-Marie
Conquer, Odile Auboin et Eric-Maria Couturier ont donné l’économe trio à cordes
Study II for Treatise on the Veil (Etude II pour le Traité sur le voile) de
Matthias Pintscher (né en 1971), œuvre ou le son raréfié, les archets jouant en
permanence ponticello et sur les
harmoniques, à l’instar des voilages volant au fil du vent en frottant des
fenêtres. La flûte d’Emmanuelle Ophèle a enluminé le vol d’oiseaux alpins peint
avec onirisme et chatoyance dans Flight
pour flûte seule par un George Benjamin (né en 1960) de dix-neuf ans. Enfin, seule
œuvre d’une compositrice du programme, le duo pour clarinettes basses Duo Leat composé en 2009-2010 par l’Israélienne
Chaya Czernown (née en 1957) qui a permis à Alain Billard et Alain Damien d’exalter
toutes les propriétés de leur instrument, du bruit de clefs au vibrato, de l’extrême
aigu aux abysses sonores des clarinettes basses, qui se répondent et fusionnent
tour à tour, mimant parfois les sonorités d’instruments à cordes.
Bruno Serrou