samedi 7 juin 2025

Le musicien-poète Nelson Goerner a de nouveau enchanté Piano4Etoiles au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Piano4Etoiles. Mercredi 4 juin 2025 

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Récital magistral mercredi soir au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de Piano4Etoiles de l’Argentin Nelson Goerner. Jouant avec beaucoup d’humilité mais sortant du clavier des sonorités inouïes de plénitude et de chaleur au service d’un nuancier infini, il a donné de l’opus 101 de Beethoven une lecture aux élans de feu, suivie des Six Pièces op. 118 de Brahms d’une continuité et d’une variété d’expression, de couleurs et de toucher qui en a fait un véritable livre de douleurs et d’humanité. Puis ce furent les Dix Préludes op. 23 de Rachmaninov d’une éloquence et d’une mobilité passionnée, avant de finir avec un éblouissant Beau Danube Bleu de Johann Strauss Jr dans un arrangement de Schulz-Evler époustouflant de virtuosité et de chant, comme parcouru par un banc de truites toutes plus joueuses et insouciantes les unes que les autres. Deux bis, Nocturne de Chopin et une berceuse de Rachmaninov 

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Les programmes de Nelson Goerner sont toujours remarquablement conçus. Pour sa troisième prestation de la saison dans le cadre de Piano****, le pianiste argentin a proposé un parcours au cœur du romantisme, des aurores beethovéniennes au crépuscule avec Rachmaninov, en passant par l’apothéose, Johannes Brahms et celui plus solaire de celui que Brahms considérait comme l’un des plus grands compositeurs de son temps, Johann Strauss Jr. Précédent la grande Hammerklavier op. 106 de quelques mois, la Sonate pour piano n° 28 en la majeur op. 101 composée en quatre mouvements durant l’été 1816 est la première des cinq « sonates tardives » de Beethoven que le compositeur André Boucourechliev dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance, décrivait comme la première œuvre dans laquelle la forme sonate « entre dans sa longue phase crépusculaire », tandis que Beethoven la présentait comme « une série d’impressions et de rêveries ». C’est dire combien cette partition convient au poète du piano qu’est Nelson Goerner, qui en a exalté d’entrée la profondeur et les infinies beautés de cantabile et polyphonies, à la façon d’un peintre à la sensibilité exacerbée. Ecrit au cours de l’été 1893 parallèlement aux quatre Klaviertücke op. 119, l’opus 118 est constitué de six pièces, assemblant quatre intermezzi, une Ballade en troisième position et une Romance en cinquième. Sa dédicataire, Clara Schumann, déclara y percevoir « une multitude d’émotions dans le cade le plus restreint », tandis que deux des pages du recueil sont les miniatures les plus célèbres du compositeur, l’Intermezzo en la majeur (n° 2, Andante teneramente) et la Romance en fa majeur (n° 5, Andante).

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Si Rachmaninov a bien écrit vingt-quatre Préludes pour piano correspondant aux tonalités majeures et mineures, il les a répartis en deux volumes, op. 23 et op. 32, respectivement formés de dix et de quatorze pièces. Le premier auquel s’est attaché Goerner date de 1903, à l’exception du cinquième composé en 1905, tandis que le second volume est de 1910. Le compositeur russe entendait répondre aux 24 Préludes de Frédéric Chopin, dans la continuité des Variations sur un thème de Chopin op. 22 tirées du vingtième Prélude de l’aîné polonais, et le prélude qui ouvre ce recueil, lento en ut dièse mineur, se réfère ouvertement à l’opus 28/2 de Chopin. Les pièces de ce recueil dans lesquelles les pianistes ont pour habitude de prendre quelques extraits, aucune n’ayant de lien structurel entre elles, et cela à l’exemple-même de l’auteur qui les jouait indépendamment les unes des autres, a été donné en son intégralité par Nelson Goerner, ce qui a permis à l’auditeur de s’imprégner de l’univers de Rachmaninov, les Préludes constituant le sommet des pages pour piano solo du compositeur lui-même pianiste virtuose. D’autant plus virtuoses sont ces pages qu’elles ont té dédiées à Alexandre Siloti, cousin germain du compositeur, disciple de Franz Liszt et lui-même transcripteur de renom, comme le rappelle Michel Le Naourt dans son texte de présentation toujours aussi riches en informations et remarquablement écrits. Dès l’abord, Goerner est clairement dans le registre de la nostalgie, n’hésitant pas se donner à l’ascétisme, pour mieux faire contraste avec le prélude suivant au ton héroïque, puis fantasque dans le Tempo di minuetto aux sonorités franchement viriles qui se conclut dans un murmure exalté par un toucher immatériel qui prépare à l’Andante cantabile élégiaque mais sans excès, qui prépare au plus célèbre des Préludes de Rachmaninov, le cinquième, alla marcia en sol mineur auquel Goerner donne avec onirisme autant d’énergie que de lyrisme, qui se retrouvent en plus douloureux dans l’Andante en mi bémol mineur au ton contemplatif et sentimental mais sans affect. Le septième Prélude est l’occasion pour le pianiste argentin de déployer sa virtuosité naturelle, toujours concentré et le geste défait de tout maniérisme, avant de donner au huitième Prélude de son toucher aérien et fluide la consistance d’un ruisseau courant à travers champs et qui, dans le Prélude suivant, Presto en mi bémol mineur, atteint une torrentielle énergie servie par une technique au panache irrésistible, avant de conclure sur la longue méditation du Largo en sol bémol majeur dans lequel le Steinway atteint sous les doigts de Goerner une vocalité nettement humaine.

Nelson Goerner
Photo : (c) Bruno Serrou

Pour donner un tour un peu plus optimiste à son récital, Nelson Goerner a choisi de clore le programme sur l’Arabesque de concert op. 12 sur le « Beau Danube bleu » de Johann Strauss Jr du pianiste pédagogue polonais Adolf Schulz-Evler (1852-1905), qui serait l’une des œuvres fétiche de Nelson Goerner. Il faut dire que cette partition donne au pianiste argentin toutes les opportunités pour jouer de ses infinies qualités d’interprète saisissant avec un rare discernement tout ce que contiennent les œuvres qu’il interprète, intelligence du texte, sensibilité d’une profonde humanité, technique sans défauts, nuancier infini, touche à la fois puissant et aérien, élégance du jeu, que la facilité apparente avec laquelle Goerner se plonge dans ces pages pétillantes transcende, au point que l’auditeur sans fermer les yeux voient défiler en lui les paysages parcourus par le plus long fleuve d’Europe, ainsi que la diversité de ses courants et de ses habitants. Un véritable délice sonore qui présente l’avantage inouï sous les doigts de Nelson Goerner de titiller tous les sens de l’auditeur.

Photo : (c) Bruno Serrou

Le public ébloui par le chant captivant de cette Arabesque qu’il venait d’écouter avec délice, n’a pas voulu en rester là de cette ensorcelante soirée, demandant à l’enchanteur, qui ne s’est pas fait prier, un premier bis, le plus célèbre des Nocturnes de Chopin, puis un second, plus court, une berceuse de Rachmaninov…

Bruno Serrou

 

  

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