Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Samedi 5 octobre 2024
C’est avec un programme de musique russe du XXe siècle que
les Wiener Philharmoniker, hôtes privilégiés du Théâtre des Champs-Elysées, se
sont produits samedi sous la direction de Daniele Gatti, directeur musical de la
Staatskapelle de Dresde depuis septembre
Les deux œuvres russes programmées
étaient néanmoins fort éloignées l’une de l’autre, malgré leur relative proximité
dans le temps puisque écrites à un quart de siècle de distance. La première
raffinée et rythmiquement enlevée dans l’esprit chorégraphique, composée en
1927-1928 représentative de la période néoclassique du Russe exilé Igor
Stravinski (1882-1971), l’autre plus brute de fonderie, écrit à la gloire d’un
régime dictatorial qui avait conduit l’aîné à l’exil, son auteur étant le plus
célèbre des compositeurs de l’ère soviétique qui eût néanmoins maille à partir
avec lui toute sa vie durant, Dimitri Chostakovitch (1908-1975).
Ecrit pour orchestre à cordes
(huit premiers et huit seconds violons, six altos, huit violoncelles et quatre
contrebasses), le ballet Apollon Musagète d’Igor Stravinski s’est avéré
un choix judicieux, tant il a permis au public de jouir des sonorités d’une
ductilité suprême des pupitres d’archets, avec pour konzermeister la brillante violoniste
bulgare Albena Danailova, première femme à ce poste au sein d’une phalange qui
n’intégra la gente féminine qu’à partir de 1998. Commande de la Fondation
Coolidge pour le Festival de musique contemporaine de la Library of Congress de
Washington DC, composé à Nice et en Savoie, ce ballet d’une demie heure en
trois parties (Prologue, Naissance d’Apollon, Apollon et les Muses) a été créé
le 27 avril 1968 par les Ballets Russes dans une chorégraphie de George
Balanchine avec en soliste Serge Lifar et un ensemble instrumental dirigé par
Hans Kindler. « J’écartai tout d’abord l’orchestre courant à cause de l’hétérogénéité
de sa composition, écrira Stravinski. J’écartai aussi les ensembles d’harmonie
dont les effets sonores ont été vraiment trop exploités ces derniers temps, et
je m’arrêtais aux archets. » Gatti en a donné une lecture élégante,
presque suave s’il n’y avait eu une rythmique souple et vivante suggérant habilement
la danse classique, suggérant la présence de muses en tutu s’exprimant avec
souplesse au sein du nouveau décor de concerts d’orchestre du Théâtre des
Champs-Elysées utilisé depuis le mois dernier.
C’est sur
la Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93
de Dimitri Chostakovitch que se concluait ce concert. Commencée peu
après la mort de Serge Prokofiev et de Joseph Staline (le compositeur écrit
dans ses Mémoires qu’il y est
question de ce dernier, alors qu’il avait déclaré lors de la création qu’il
avait voulu y exprimer les sentiments et passions humains), achevée en octobre
de la même année, créée à Leningrad le 17 décembre 1953 sous la direction
d’Evgueni Mravinski, cette Dixième
Symphonie s’ouvre sur un ample Moderato
sombre et pessimiste qui lui instille un ton d’accablement. Les thèmes
longuement étirés et la tension croissante qui perdure jusqu’au point culminant
final ramènent au climat de la Huitième
Symphonie composée dix ans plus tôt mais en plus élémentaire. Daniele Gatti,
qui a disposé la phalange à l’autrichienne (premiers et seconds violons se faisant
face et encadrant violoncelles et altos), a abordé ce mouvement dramatique avec ductilité,
gommant avec a propos aspérités et grincements pour exalter opportunément les chaudes
sonorités de l’orchestre viennois. Ainsi, le chef italien attise des couleurs brûlantes
et épanouies, ce qui permet de gouter l’onirisme volubile des solos de
clarinette puis de flûte, enfin des deux piccolos, enfin des cuivres, rutilants.
Il affine ainsi le côté musique de propagande, s’attardant pour les magnifier
sur les moments où le compositeur laisse couler son souffle épique. Les Wiener
Philharmoniker répondent avec malléabilité aux sollicitations de leur chef
invité qui tend à donner à cette messe de gloire à la révolution soviétique un
tour quasi brucknérien.
Bruno Serrou
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