Paris. Festival d’Automne à Paris. Philharmonie de Paris. Cité de la
Musique. Grande Salle. Vendredi 11 octobre 2024
C’est un concert monographique exemplaire que l’Ensemble Intercontemporain
a offert vendredi sous la direction de Nicolo Umberto Foron à la compositrice
Clara Iannotta dans le cadre du Festival d’Automne à Paris qui l’avait invitée
pour la première fois voilà dix ans et dont elle vient de prendre la succession
de Joséphine Markowicz décédée au printemps dernier comme codirectrice à partir
de 2025
« Ma musique est une
projection de mon corps. » A 41 ans, Clara Iannotta est l’une des figures
majeures de la musique contemporaine. Née à Rome en 1983, installée à Berlin,
flûtiste de formation avant d’étudier la composition au Conservatoire Giuseppe
Verdi de Milan puis au Conservatoire de Paris (CNSMDP) dans la classe de
Frédéric Durieux, Clara Iannotta est depuis dix ans régulièrement invitée par
le Festival d’Automne, sa prédécesseur l’ayant programmée dès 2014, avant de la
réinviter en 2017 et en 2018. Programmée depuis une dizaine d’années par
l’Ensemble Intercontemporain, c’est naturellement que les deux institutions lui
ont notamment consacré un concert monographique (1), brossant ainsi un portrait
en quatre œuvres récentes, deux premières françaises et deux créations
mondiales dont une originale. La caractéristique principale du style de la
compositrice italienne est l’évolution lente du discours dont le statisme
sous-tend un constant mouvement dans le déploiement d’effets sonores d’une
richesse, d’une diversité et d’une fluidité saisissante. Deux œuvres se sont
imposées, toutes deux suscitées par des expériences intimes déchirantes vécues
par leur auteur, Echo from afar (II)
en première audition française, et Glass
and stone en création mondiale. Les quatre œuvres proposées puisaient leur
source dans la création de la poétesse irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004) qui
lui ont permis un travail introspectif à la fois sur elle-même, sur la maladie
et sur sa propre création.
Composé en 2022 pour flûte,
clarinette en si bémol, percussion, piano, violon, violoncelle et électronique
en temps réel, créé à Cologne le 29 novembre 2022, Echo from afar (II) a incontestablement été l’œuvre-phare de la
soirée. Elle appartient à un cycle de cinq pièces inspirées d’un même poème de Molloy
qui y évoque le cancer dont elle allait mourir. Atteinte à son tour d’un
cancer, la compositrice, qui fait siens les vers de la peintre historienne de
l’art dont les poèmes ont été publiés à titre posthume, Clara Iannotta relate
dans cette œuvre planante l’expérience d’un traitement radiothérapie qui
suscitait à chacune des vingt-huit séances la même séquence sonore d’une
dizaine de minutes qui se développe sans modifications tangibles tout en
traversant une diversité de champs sonores à travers l’espace et le temps.
Plus bouleversante encore, car
plus intime et funeste, Glass and stone,
commande du Festival d’Automne à Paris et de Yarn/Wire. Donnée en création
mondiale, cette pièce pour deux percussionnistes, deux pianos et électronique
se présente comme un requiem inspiré par le décès de la mère de la compositrice
début 2023. Cette partition emprunte son matériau à des bruits de son enfance,
comme celui d’un projecteur de diapositives, et surtout à des musiques que la
défunte aimait pour les passer à travers le prisme de son propre univers sonore
que sa mère « détestait » tandis qu’elle « adorait » sa fille,
tous sentiments introduits dans le texte écrits de sa main sur une vidéo
projetée sur des panneaux mobiles pendant l’exécution de l’œuvre illustrée de
photos de famille au rythme saccadé de la musique tels des battements de cœur.
Autre pièce en création au titre déchirant, They left us grief-trees wailing at the wall (Ils nous ont laissé des arbres de chagrin hurlant contre le mur) pour neuf instruments (deux clarinettes, percussion, piano, guitare électrique, violon, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique, qui se fonde sur une phrase du poème Death by poisoning (Mort par empoisonnement). L’œuvre se présente comme une étude de rythmes intégrés dans des clusters au sein desquels ils sont transformés avant d’en resurgir.
C’est avec la partition
réunissant le plus vaste effectif, qui est aussi la plus ancienne du programme puisque
conçue en 2019-2020, que s’est terminé ce concert monographique, A stir among the stars, a making way (Un émoi
parmi les étoiles, un chemin tracé). Dans les vingt minutes de cette œuvre
donnée en première audition française - elle a été créée à Innsbruck le 20
septembre 2020 par Klangforum Wien - qui s’appuie sur un poème intitulé Mue (Moult)
qui évoque un cancer du sein rapproché de la mue du plumage des canards -, l’ensemble
de quatorze musiciens (deux flûtes, deux clarinettes en si bémol - la seconde
aussi clarinette basse -, basson, cor, trompette, trombone, tuba, deux
percussionnistes, harpe, guitare électrique, accordéon et électronique) s’exprime
comme deux groupes distincts dans des tempi
plus ou moins différents.
Cette musique complexe, autant à
exécuter qu’à écouter, nécessitant une mise en place millimétrée, autant par
son statisme que dans la concordance de ses mouvements d’une infinie diversité
et d’une infime précision d’horlogerie, a été remarquablement interprétée par
les musiciens virtuoses de l’Ensemble Intercontemporain sous la direction
claire, ferme et précise du chef pianiste compositeur germano-italien Nicolo
Umberto Foron.
Bruno Serrou
1) Un prochain concert, samedi 16
novembre à 20h00 Auditorium de Radio France mettra l’une de ses œuvres, Strange bird - no longer navigating by a
star (Oiseau étrange - ne naviguant
plus par une étoile) avec le Concerto
n° 2 pour violoncelle de Dimitri Chostakovitch avec Truls Mork en soliste,
et la Symphonie n° 9 « La Grande »
de Franz Schubert par l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par
Markus Poschner. A voir et à entendre, Eglise Saint-Eustache, l’installation
audiovisuelle de Clara Iannotta et Chris Swithinbank jusqu’au 18 octobre de
10h00 à 17h00 (entrée libre)
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