lundi 14 octobre 2024

Festival d’Automne, l’Ensemble Intercontemporain a offert un saisissant voyage dans le corps créatif de Clara Iannotta

Paris. Festival d’Automne à Paris. Philharmonie de Paris. Cité de la Musique. Grande Salle. Vendredi 11 octobre 2024 

Clara Iannotta et Nicolo Umberto Foron. Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

C’est un concert monographique exemplaire que l’Ensemble Intercontemporain a offert vendredi sous la direction de Nicolo Umberto Foron à la compositrice Clara Iannotta dans le cadre du Festival d’Automne à Paris qui l’avait invitée pour la première fois voilà dix ans et dont elle vient de prendre la succession de Joséphine Markowicz décédée au printemps dernier comme codirectrice à partir de 2025

Clara Iannotta (née en 1983). Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

« Ma musique est une projection de mon corps. » A 41 ans, Clara Iannotta est l’une des figures majeures de la musique contemporaine. Née à Rome en 1983, installée à Berlin, flûtiste de formation avant d’étudier la composition au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan puis au Conservatoire de Paris (CNSMDP) dans la classe de Frédéric Durieux, Clara Iannotta est depuis dix ans régulièrement invitée par le Festival d’Automne, sa prédécesseur l’ayant programmée dès 2014, avant de la réinviter en 2017 et en 2018. Programmée depuis une dizaine d’années par l’Ensemble Intercontemporain, c’est naturellement que les deux institutions lui ont notamment consacré un concert monographique (1), brossant ainsi un portrait en quatre œuvres récentes, deux premières françaises et deux créations mondiales dont une originale. La caractéristique principale du style de la compositrice italienne est l’évolution lente du discours dont le statisme sous-tend un constant mouvement dans le déploiement d’effets sonores d’une richesse, d’une diversité et d’une fluidité saisissante. Deux œuvres se sont imposées, toutes deux suscitées par des expériences intimes déchirantes vécues par leur auteur, Echo from afar (II) en première audition française, et Glass and stone en création mondiale. Les quatre œuvres proposées puisaient leur source dans la création de la poétesse irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004) qui lui ont permis un travail introspectif à la fois sur elle-même, sur la maladie et sur sa propre création.

Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

Composé en 2022 pour flûte, clarinette en si bémol, percussion, piano, violon, violoncelle et électronique en temps réel, créé à Cologne le 29 novembre 2022, Echo from afar (II) a incontestablement été l’œuvre-phare de la soirée. Elle appartient à un cycle de cinq pièces inspirées d’un même poème de Molloy qui y évoque le cancer dont elle allait mourir. Atteinte à son tour d’un cancer, la compositrice, qui fait siens les vers de la peintre historienne de l’art dont les poèmes ont été publiés à titre posthume, Clara Iannotta relate dans cette œuvre planante l’expérience d’un traitement radiothérapie qui suscitait à chacune des vingt-huit séances la même séquence sonore d’une dizaine de minutes qui se développe sans modifications tangibles tout en traversant une diversité de champs sonores à travers l’espace et le temps.

Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

Plus bouleversante encore, car plus intime et funeste, Glass and stone, commande du Festival d’Automne à Paris et de Yarn/Wire. Donnée en création mondiale, cette pièce pour deux percussionnistes, deux pianos et électronique se présente comme un requiem inspiré par le décès de la mère de la compositrice début 2023. Cette partition emprunte son matériau à des bruits de son enfance, comme celui d’un projecteur de diapositives, et surtout à des musiques que la défunte aimait pour les passer à travers le prisme de son propre univers sonore que sa mère « détestait » tandis qu’elle « adorait » sa fille, tous sentiments introduits dans le texte écrits de sa main sur une vidéo projetée sur des panneaux mobiles pendant l’exécution de l’œuvre illustrée de photos de famille au rythme saccadé de la musique tels des battements de cœur.

Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

Autre pièce en création au titre déchirant, They left us grief-trees wailing at the wall (Ils nous ont laissé des arbres de chagrin hurlant contre le mur) pour neuf instruments (deux clarinettes, percussion, piano, guitare électrique, violon, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique, qui se fonde sur une phrase du poème Death by poisoning (Mort par empoisonnement). L’œuvre se présente comme une étude de rythmes intégrés dans des clusters au sein desquels ils sont transformés avant d’en resurgir.

Clara Iannotta, Sébastien Vichard. Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

C’est avec la partition réunissant le plus vaste effectif, qui est aussi la plus ancienne du programme puisque conçue en 2019-2020, que s’est terminé ce concert monographique, A stir among the stars, a making way (Un émoi parmi les étoiles, un chemin tracé). Dans les vingt minutes de cette œuvre donnée en première audition française - elle a été créée à Innsbruck le 20 septembre 2020 par Klangforum Wien - qui s’appuie sur un poème intitulé Mue (Moult) qui évoque un cancer du sein rapproché de la mue du plumage des canards -, l’ensemble de quatorze musiciens (deux flûtes, deux clarinettes en si bémol - la seconde aussi clarinette basse -, basson, cor, trompette, trombone, tuba, deux percussionnistes, harpe, guitare électrique, accordéon et électronique) s’exprime comme deux groupes distincts dans des tempi plus ou moins différents.

Nicolo Umberto Foron, Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Anne-Elise Grosbois & (c) Quentin Chevrier

Cette musique complexe, autant à exécuter qu’à écouter, nécessitant une mise en place millimétrée, autant par son statisme que dans la concordance de ses mouvements d’une infinie diversité et d’une infime précision d’horlogerie, a été remarquablement interprétée par les musiciens virtuoses de l’Ensemble Intercontemporain sous la direction claire, ferme et précise du chef pianiste compositeur germano-italien Nicolo Umberto Foron.

Bruno Serrou

1) Un prochain concert, samedi 16 novembre à 20h00 Auditorium de Radio France mettra l’une de ses œuvres, Strange bird - no longer navigating by a star (Oiseau étrange - ne naviguant plus par une étoile) avec le Concerto n° 2 pour violoncelle de Dimitri Chostakovitch avec Truls Mork en soliste, et la Symphonie n° 9 « La Grande » de Franz Schubert par l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Markus Poschner. A voir et à entendre, Eglise Saint-Eustache, l’installation audiovisuelle de Clara Iannotta et Chris Swithinbank jusqu’au 18 octobre de 10h00 à 17h00 (entrée libre)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire