Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 18 octobre 2024
Virtuose et charnel Lucerne Festival
Orchestra en communion totale à la Philharmonie de Paris avec son directeur
musical Riccardo Chailly, successeur de son compatriote Claudio Abbado, refondateur
de la phalange lacustre en 2003. Une formation éblouissante dont tous les
pupitres sont des solistes aimant à se produire ensemble. Ce soir, dialoguant
avec tact avec Daniel Lozakovich au son chaud et plein et au nuancier infini,
mais concevant de façon trop lente le Concerto
pour violon de Jean Sibelius suivi d’un long et somptueux bis, la Ballade de la Sonate op.27/3 d’Eugène Ysaÿe… Perfection
absolue des Danses symphoniques de Serge Rachmaninov. En
bis l’orchestre a donné un Scherzo de
jeunesse de Rachmaninov
C’est avec le Lucerne Festival
Orchestra dont il est directeur musical depuis 2016 parallèlement au Teatro
alla Scala de Milan et son orchestre depuis 2017, que Riccardo Chailly s’est
produit vendredi à la Philharmonie de Paris, dans un court programme
heureusement prolongé par un bis à la
fin de chacune des eux parties. Le Lucerne Festival Orchestra est l’un
des derniers orchestres que Claudio Abbado a fondés (ou refondé, pour être plus
précis dans le cas qui nous occupe) en 2003, sur la base de musiciens du Mahler
Chamber Orchestra rejoints par des solistes prestigieux et des membres
d’illustres phalanges européennes (Philharmonique de Berlin, de Vienne, etc.).
A la mort du chef milanais, c’est son jeune et brillant confrère letton Andris
Nelsons, directeur musical du Boston Symphony Orchestra, qui a assuré l’intérim
pendant deux ans, entre la mort de Claudio Abbado le 20 janvier 2014 et
l’arrivée d’un autre chef milanais, Riccardo Chailly. Cette fois, c’est avec le
violoniste suédois de 23 ans, Daniel Lozakovich et son Stradivarius « ex-Sancy »
de 1713 que lui prête la Fondation LVMH que la somptueuse phalange lacustre s’est
produite à Paris.
Plus encore que son cursus de
sept symphonies, Jean Sibelius (1865-1957) est universellement célébré pour son
unique partition concertante, œuvre emblématique du fondateur de la musique
finlandaise. L’intemporel Concerto pour
violon et orchestre Op. 47 est en effet la plus courue des œuvres du genre
du XXe siècle notamment en France, où elle mit du temps à s’imposer,
au point d’effacer le déchirant Concerto « à
la mémoire d’un ange » (1935) d’Alban Berg (1885-1935). C’est la
version définitive de cette œuvre composée en 1903-1904 et révisée en 1905,
version créée à Berlin par Karel Halir sous la direction de Richard Strauss à
la tête de son orchestre de l’Opéra d’Etat de Berlin dont il était le directeur
général depuis 1898, qui a naturellement été retenue. Le violoniste suédois
Daniel Lozakovich s’y est avéré lumineuse et poétique, donnant de ce
chef-d’œuvre du répertoire violonistique une interprétation plus chantante que
dramatique, d’une grâce et d’une fraîcheur singulière en regard des lectures vertigineuses,
saisissante par leur tension hallucinante, ce qui n’a pas empêché cette
conception plus intériorisée d’atteindre une densité et une maîtrise sonore et
technique stupéfiantes, dialoguant avec un orchestre rutilant de nuances et de
couleurs. Violoniste remarquable d’aisance et d’expressivité, musicien à la
technique infaillible au service d'une ardente musicalité, imposant un plaisir
des sons de chaque instant, riche d’un nuancier infini - magistrales
transitions entre fortissimo/forte/piano/pianissimo -, l’artiste
suédois a suscité un silence quasi mystique au public, qui en a eu carrément le
souffle coupé par ce qu’il entendait et voyait. Authentique compagnon de route
dans ce dialogue fusionnel avec la violoniste, Riccardo Chailly lui a façonné un
partenariat orchestral somptueux au tissu onctueux. Les quatre cors ont été
éblouissants d’évocation et de carnation, donnant une incroyable profondeur de
champs au chant du violon. Concentré et particulièrement à l'écoute de Daniel
Lozakovich, l’Orchestre du Festival de Lucerne dans ses propres soli et tutti a déployé des plages d’une beauté scintillante et d’une
puissance impressionnante. En bis,
Lozakovich a donné une impressionnante interprétation de la Sonate pour violon en ré mineur « Ballade »
op. 27/3 (1923) qu’Eugène Ysaÿe (1858-1931) a dédiée à son confrère roumain
Georges Enescu.
Les brillantes trente-cinq
minutes des Danses symphoniques op. 45 de
Serge Rachmaninov (1873-1943) qui occupaient seule la seconde partie de la
courte soirée. Créées à Philadelphie début 1941, cette suite de danses est la
dernière partition pour orchestre de Serge Rachmaninov. Du premier des trois
mouvements, le LFO a exalté l’énergie, les rythmes trépidants, subtilement
ponctués par hautbois (Lucas Macias Navarro) et clarinette (Thomas Holzmann) solos
qui ont merveilleusement évoqué l’élan pastoral, tandis que le saxophone excellemment
tenu par Femke Ijlstra a remarquablement introduit la nostalgie qui imprègne la
mélodie que le compositeur lui a réservée. Dans l’Andante, la valse a permis au cor anglais tenu par Miriam Pastor d’exposer
la somptueuse plastique de ses sonorités. Ponctué de citations macabres du Dies Irae, qui aura hanté Rachmaninov sa
vie entière et qui revient ici sous diverses formes rythmiques et harmoniques auquel
fait ici écho un second thème religieux, tiré cette fois de la liturgie
orthodoxe, le dernier mouvement a été servi par les musiciens du LFO dans sa
diversité sonore et expressive, la formation se libérant totalement de l’ample
finale sans jamais saturer l’espace par la puissance d’une orchestration
massive amplifiée par une percussion certes tonitruante mais cette fois sans la
moindre trace de prosaïsme. En bis, Riccardo
Chailly a présenté le Scherzo pour
orchestre en ré mineur écrit par un Rachmaninov de quatorze ans, œuvre
dansante et vive à l’écriture déjà virtuose, où bois et cordes mènent le bal.
Bruno Serrou
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