lundi 24 juin 2024

L’Olympiade de roucoulades vivaldiennes au Théâtre des Champs-Elysées animée par Jean-Christophe Spinosi et Emmanuel Daumas

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Jeudi 20 juin 2024 

Antonio Vivaldi (1678-1741), L'Olimpiade. Photo : (c) Vincent Pontet

Toute cité choisie par les Jeux Olympiques s'intéressant peu ou prou à la culture autre que celle du divertissement, se doit de les célébrer en programmant des œuvres classiques autour de cet événement sportif planétaire quatriennal. Pour son retour à Paris après un siècle d’absence, le Théâtre des Champs-Elysées a porté son dévolu en prologue un opéra de Vivaldi, universellement célébré pour ses Quatre Saisons, en choisissant parmi ses quarante-sept opéras répertoriés entre 1713 (Ottone in villa) et 1735 (Bejazet (Il Tamerlano)), l’Olimpiade RV. 725 qui connut à sa création un succès retentissant et qui est présenté pour la première fois en France dans sa version scénique. 

Antonio Vivaldi (1678-1741), L'Olimpiade. Photo : (c) Vincent Pontet

Après un vibrant hommage de Michel Franck, son directeur général, à la jeune et brillante soprano belge Jodie Devos décédée le 16 juin à 35 ans des suites d’un cancer foudroyant alors qu’elle aurait dû chanter dans cette production, suivi d’une longue ovation debout du public, le Théâtre des Champs-Elysées préludait aux Jeux Olympique de Paris 2024 avec la première d’une nouvelle production de l’Olimpiade, opéra improbable et longuet d’Antonio Vivaldi avec des arie écrites au kilomètre interprétées par une impressionnante collection de voix aiguës avec à sa tête le brillant Jakub Józef Orliński. Sonné en ce même théâtre en version concert le 10 février 1990 dirigé par René Clemencic à la tête de l’Ensemble Vocal La Capella et de son Clemencic Consort avec entre autres Gérard Lesne (Licidia) et Aris Christofellis (Aminta).

Antonio Vivaldi (1678-1741), L'Olimpiade. Photo : (c) Vincent Pontet

Créé le 17 février 1734 au Teatro Sant’Angelo à Venise, ce Dramma per musica en trois actes repose sur livret du poète Metastase d’après Hérodote déjà utilisé en 1733 par Caldara pour Vienne apporta à Vivaldi un succès tel qu’il reçut dans la foulée une commande des Grimani, propriétaires di Teatro San Grisostomo, qui aboutira à Grisalda créé en mai 1735. L’intrigue se situe sur les Champs Elysées, dans la campagne d’Elide près d’Olympie, le jour des Jeux. Clistene (baryton), roi de Sicyone figure tutélaire de l’Olympiade accompagné de son fidèle confident Alcandro (basse) promet sa fille Aristea (contralto), en mariage au vainqueur des Jeux Olympiques. Le prince Licida (contralto), fils du Roi de Crète épris d’Aristea accompagné de son serviteur Aminta (soprano), demande à son ami intime, l’athlète Megacle (mezzo-soprano) amant d’Argene (mezzo-soprano), de concourir en son nom, sûr de sa victoire. Aimé en secret d’Aristea, Megacle ignore le prix du concours, accepte et remporte les jeux. Sacrifiant son amour, le jeune héros raconte le subterfuge à Aristea et décide de la quitter à jamais. Après moult rebondissements dramatiques, Licida est pardonné et Aristea convole en justes noces avec Megacle.

Antonio Vivaldi (1678-1741), L'Olimpiade. Photo : (c) Vincent Pontet

Exploits et performances sportifs sont sollicités autant dans la vocalité que la musicalité, obligeant à disposer de véritables athlètes-musiciens et athlètes-danseurs. Quoique composée pour Venise, l’œuvre de Vivaldi répond aux critères de l’opéra napolitain fort en vogue à l’époque jusque sur la lagune. Tant et si bien que la partition regorge d’airs virtuoses fort développés, fait appel à deux castrats sopranos pour les rôles de Magacle et d’Aminta. La partition compte vingt-deux arie, dont dix-huit sont le fruit de recyclages d’œuvres antérieures, la plupart puisés dans Lucio Vero prévu pour Vérone mais abandonné tandis que seuls deux récitatifs accompagnés s'avèrent marquants destinés au personnage de Megacle par leur force dramatique. Le rôle d’Aminta est le plus ardu en raison de l’étendue vocale et des colorature. L’opéra semble avoir été composé dans l’urgence avec les moyens du bord. Quoique purement décoratifs, les morceaux composés sont d’une grande virtuosité, nécessitant par leurs vocalises, roulades et variations d’une maîtrise belcantiste parfaite ainsi qu’un registre aigu d’une solidité insolente.  

Antonio Vivaldi (1678-1741), L'Olimpiade. Photo : (c) Vincent Pontet

Bien que linéaire de forme et de style, la musique de Vivaldi alterne buffo et serioso, conformément au livret de Metastase. Le chef, Jean-Christophe Spinosi, et le metteur en scène, Emmanuel Daumas, n’ont clairement pas cherché à différencier les diverses strates de l’action et de la partition, s’avérant trop monolithiques dans l’extravagance, les deux éléments de l’opéra restant constamment dans l’excès, se maintenant dans l’énergie fantasque, la parodie, n’évitant pas la trivialité, surtout dans la première partie, la plus volontairement comique. Tandis que le premier acte fleure bon le gymnase olympique, avec justaucorps moulant où s’échauffe le chérif et capricieux Licida au chef couvert d’un postiche blond, pectoraux saillants, biceps bombés. Ainsi, ce premier acte ressemble à un cours d’aérobic avec chevaux d’arçons, tatamis sur lesquels s’exercent les athlètes. Tandis que la seconde partie manque de respirations, se faisant excessivement dramatique, voire asphyxiante, enchaînant les lamenti comme autant d’éléments d’un puzzle d’où n’émerge aucune lumière ni spiritualité. Avant l’entracte, gaudriole et agitation permanente sont animées par une excellente direction d’acteur, cohérente et créative. Le rideau s’ouvre sur un gymnase moderne où s’entraînent des lutteurs, rejoints par un frêle Licida qui s’essouffle rapidement. Ce dernier demande donc à son ami bodybuildé Megacle de tricher en le remplaçant durant la compétition, sous le regard d’Aminta qui, d’éducateur philosophe, devient une sorcière aux faux airs du clown. La Grèce de fantaisie s’incarne dans des costumes antiques métissés de vêtements XVIIIe siècle tendant à la caricature au cœur de décors présentant une antiquité fantasmée d’un baroque plus burlesque qu’onirique. Cinq danseurs servent de faire-valoir au contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński qui se revendique maître du « break dance », ce qu’il ne peut lui permettre d’assurer l’équité du chant où les défaillances se font jour lorsqu’il se met à danser. Dans le rôle travesti de l’athlète Megacle, la brillante mezzo-soprano Marina Viotti, à la voix toute en finesse t au souffle tout en longueur, à l’instar de Caterina Piva qui campe une Aristea sensuelle, tandis que Delphine Galou est un Argene effacé et Ana Maria Labin une Aminta aux colorature aléatoires. Les rares rôles dévolus à la gente masculine, outre Orliński, sont dextrement campés par Christian Senn (Alcandro) et Luigi De Donato (Clistene).

Antonio Vivaldi (1678-1741), L'Olimpiade. Photo : (c) Vincent Pontet

Dans la fosse, la conception de Jean-Christophe Spinosi se situe sur le même registre que la mise en scène, ne formant à aucun moment hiatus, soignant les contrastes et les ruptures dramatiques, mais s’avérant souvent trop nerveuse et dynamique, gommant toute consistance poétique aux moments les plus méditatifs et intériorisés, tandis que l’Ensemble Matheus sur instruments d’époque galvanise la partition.

Bruno Serrou 

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