vendredi 31 mai 2024

Le son d’orfèvre du Los Angeles Philharmonic avivé par Gustavo Dudamel dans un programme éculé

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Jeudi 30 mai 2024 

Gustavo Dudamel, Los Angeles Phlharmonic. Photo : (c) Bruno Serrou

Concert mi-figue mi-raisin ce soir à la Philharmonie de Paris, avec l’excellent Los Angeles Philharmonic et son directeur musical Gustavo Dudamel, dans un programme typiquement états-unien au goût plus ou moins discutable : première partie typique de la musique contemporaine nord-américaine, à l’exception du  minimalisme puisque limité au cinéma et à la postmodernité ampoulée, Olympic Fanfare de John Williams et Altar de Cuerda concerto pour violon de Gabriela Ortiz, mais une vivifiante, fougueuse et rutilante Symphonie « du Nouveau Monde » dans laquelle le Tchèque Antonín Dvořák chante son mal du pays à travers les traditions des Américains de souche et des esclaves. Succès public avec un vibrant fan club pour partie venu en charter depuis la Californie 

Maria Dueñas, Gustavo Dudamel, Los Angeles Philharmonic. Photo : (c) Bruno Serrou

L’on sait depuis sa première apparition à Paris combien le chef vénézuélien Gustavo Dudamel suscite d’engouement, chacune de ses apparitions suscitant des concerts à guichet fermé. La direction actuelle de l’Opéra de Paris l’avait bien compris, en lui offrant le poste de directeur musical de la première institution lyrique de France, fonction à laquelle le chef renonça après moins d’un an d’expérience, au milieu de la saison dernière quelques jours après la conférence de presse du lancement de la saison 2023-2024… Le public parisien l’a retrouvé cette semaine après un an d’absence, cette fois à la tête de son Orchestre Philharmonique de Los Angeles à la tête duquel il a succédé en octobre 2009 au Finlandais Esa-Pekka Salonen. Un orchestre aux sonorités onctueuses qui font la caractéristique la plus marquante des phalanges symphoniques des Etats-Unis, le LA Phil n’ayant depuis l’inauguration de sa salle en 2003, le Wall Disney Concert Hall, plus rien à envier au groupe des Big Five constitué du New York Philharmonic, des Boston et Chicago Symphonies, Philadelphie et Cleveland Orchestras. Ce concert a donc été côté plaisir des sons une incontestable réussite. Il est d’ailleurs à noter que la disposition des pupitres était conforme à la tradition non pas américaine mais germanique, avec premiers et seconds violons se faisant face, entourant violoncelles et altos, contrebasses derrière les violoncelles, mais trompettes à pistons, plus brillantes que celles à palettes.

Gustavo Dudamel, Gabriela Ortiz, Maria Dueñas, Los Angeles Philharmonic. Photo : (c) Bruno Serrou

Ce qui a moins été le cas du programme, qui n’a ménagé aucune surprise, célébrant l’Amérique du Nord, de la création de son « école » à nos jours, mais sans le minimalisme ni l’esprit pionnier…  C’est avec la figure emblématique de la musique de films qu’est John Williams que le concert a débuté. Heureusement, une page courte tant elle est apparue emphatique, ce à quoi d’ailleurs il fallait s’attendre, puisqu’il s’est agi de la pièce d’orchestre commandée par le Comité International Olympique pour les Jeux d’été de Los Angeles 1984, Olympic Fanfare and Theme, quarante avant ceux de Paris, comme s’il s’agissait du passage de la flamme olympique de la Californie à l’Ile-de-France… Une partition amphigourique de cinq interminables minutes prêtant à rire de bois par trois, de cuivres par quatre plus tuba, percussion, harpe, piano et cordes en proportion. Même impression de longueur, mais en pire encore avec son demi-tour d’horloge, avec le concerto pour violon et orchestre Altar de cuerda (Autel des cordes) de Gabriela Ortiz (née en 1964) à l’orchestration si fournie (bois par deux, plus piccolo, quatre cors, trois trompettes, trois trombones - tous les vents jouant aussi des verres en cristal -, timbales, percussion, harpe, piano, célesta, cordes) que l’instrument soliste a souvent du mal  se faire entendre, l’œuvre semblant davantage être un combat entre deux entités plutôt qu’une œuvre concertante. Composé en 2021, créé le 14 mai 2022 au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles par les mêmes interprètes, dédié à la violoniste andalouse Maria Dueñas, élève de Boris Kuschnir à Vienne, qui surmonte avec maestria les difficultés techniques réservées à la partie soliste, parvenant à se faire entendre en passant au-dessus de l’orchestration touffue de la partition, sans parvenir à intéresser vraiment à cette musique passe-partout et sans âge comme beaucoup trop de productions musicales classiques nord-américaines. Le long bis qu’elle a offert en réponse à l’accueil explosif que lui a réservé le public de la Philharmonie, était de la même eau, un Caprice bavard du duo comique violon/piano russo-britannico-coréen Igudesman and Joo (Aleksey Igudesman et Hyung-ki Joo).

Gustavo Dudamel, Los Angles Philharmonic et ses cuivres rutilants. Photo : (c) Bruno Serrou

L’on sait les circonstances de la genèse de la Symphonie n° 9 en mi mineur op. 95 « Du Nouveau Monde » d’Antonín Dvořák créée le 16 décembre 1893 au Carnegie Hall de New York, et ce qu’elle doit aux Etats-Unis d’Amérique, avec ses mélodies afro-américaines et son thème peau-rouge avec les renvois sur Le Chant de Hiawatha dans les deux mouvements centraux, le Scherzo s’appuyant en outre sur la danse de Pau-Puk-Keewis, et ce que doit la musique US au compositeur tchèque, fondateur du Conservatoire de New York, mais l’on sait aussi combien Dvořák y a mis de sa propre patrie, tant il ressentait le mal du pays, qu’il lui tardait de retrouver, lui envoyant comme un message depuis l’Amérique où il ne se sentait pas chez lui. Tant et si bien que le LA Phil a quasi chanté dans son jardin, bien qu’il ait manqué un rien de la nostalgie que seuls les Tchèques connaissent et ressentent au plus profond de leur âme, l’orchestre californien et son chef vénézuélien, Gustavo Dudamel, ont offert une interprétation luxuriante, suave, flamboyante, voire conquérante, un vrai délice pour les oreilles, mais moins convaincante côté cœur. En bis, le Los Angeles Philharmonic est retourné à la sauce John Williams, avec un patchwork de la musique du film Raiders of the Lost Ark (Les Aventuriers de l’arche perdue) de Steven Spielberg (1981), suscitant davantage encore les ovations d’un public conquis.

Bruno Serrou 

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