mercredi 6 février 2013

Reigen, opéra de Philippe Boesmans, confirme l’excellence du recrutement des élèves du Conservatoire de Paris



Paris, Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Salle d’Art lyrique, mardi 5 février 2013


Conçu au début des années 1990 sur un livret de Luc Bondy tiré de La Ronde d’Arthur Schnitzler, Reigen est le deuxième opéra de Philippe Boesmans (né en 1936), après La Passion de Gilles (1983) et avant Wintermärchen (1999), Julie (2005) et Yvonne, princesse de Bourgogne (2009), en attendant la création en 2014 de son septième opéra, Au Monde sur un texte de Joël Pommerat (1). Créé en mars 1993 au Théâtre de La Monnaie de Bruxelles dans une mise en scène de Luc Bondy, repris au Théâtre du Châtelet en 1994, cet ouvrage se présente telle une suite de dix dialogues dans laquelle un même chanteur/personnage fait le lien entre deux scènes. Depuis lors, onze productions différentes dans le monde ont confirmé la résonnance de cet ouvrage.



Alors qu’il travaillait sur Julie, le compositeur wallon a accepté la gageure de voir confier à l’un de ses jeunes compatriotes et élèves, Fabrizio Cassol, la réduction de Reigen pour un ensemble de vingt-deux musiciens ce qui nécessitait le grand orchestre. Ainsi, depuis lors la diffusion de cet ouvrage peut-elle être plus large encore, et, surtout, le rapport à la partition est-il modifié, avec des timbres plus colorés façon cabaret, ce qui rapproche davantage l'opéra de l'esprit de la pièce de Schnitzler, la souplesse des textures, la flexibilité d’une formation de solistes et une relation plateau-fosse-salle plus directe et intime. Réalisée à la demande de l’Atelier lyrique du Rhin, cette version était conçue à l’échelle du Théâtre municipal de Colmar à l’acoustique particulièrement fluide et éclatante, où le moindre écart est perçu avec une extrême précision. Un son résonnant comme dans une bonbonnière où peuvent se fondre et s’éclairer les uns les autres chanteurs et instrumentistes. 



Il en est de même avec la Salle d’Art lyrique du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, qui, en coproduction avec la Cité de la Musique, reprend cette version dans une nouvelle production. Le CNSMDP a inscrit Reigen cette année dans son cursus de formation, après l’Atelier d’Art lyrique de Colmar et l’Opéra Studio d’Amsterdam. L’équipe réunie pour cette nouvelle production (10 chanteurs, 24 instrumentistes de 20 à 27 ans) réalisée avec la Cité de la Musique sont tous élèves du Conservatoire, en classes de Licence, Master1 et Master2. Dès son arrivée à la tête de la première institution de pédagogie musicale de France, le compositeur Bruno Mantovani a accru les occasions pour ses élèves de s’affermir devant des publics, renouant ainsi avec l’époque de Marc-Olivier Dupin, qui avait notamment fait appel à Andrei Serban en 1995 pour l’Amour des trois oranges de Serge Prokofiev. Cette fois, et pour la seconde année consécutive après Echo et Narcisse de Gluck, c’est Marguerite Borie qui assure la mise en scène de Reigen


Sous la direction énergique et précise du jeune chef italien Tito Ceccherini, familier de la musique contemporaine, proche de Sciarrino et Péter Eötvös, et en présence de Philippe Boesmans, l’Orchestre du Conservatoire de Paris s’avère d’une homogénéité remarquable, l’alliage des timbres s'affirmant par une coloration remarquable, et la netteté des attaques s’impose dès le début, grâce aux petits effectifs qui ne laissent rien passer, ni écarts d’intonation, ni imprécisions dans les nuances et les attaques, ni  décalages. Tous les pupitres se montrent en fait excellents solistes, qui savent fusionner pour constituer un ensemble véritable, répondant avec empressement aux sollicitations du chef, qui sert lui-même avec diligence la mise en scène nerveuse et efficace de Marguerite Borie. 



Au contact de la jeune metteur en scène franco-allemande, les étudiants des classes de chant du Conservatoire de Paris sont à l’école du théâtre, animés par une direction d’acteur qui évite les poncifs où l’action de Reigen pousse naturellement, avec ces dix scènes d’amour toutes plus réalistes les unes que les autres, course effrénée de maladies sexuellement transmissibles, depuis les bas-fonds jusqu’à la haute société. Dans une scénographie signée Laurent Castaingt plus simple que prévu en raison de restrictions budgétaires – mais ses lumières suscitent de trop fort contrejours qui nuisent à la visibilité du spectacle –, Borie a su échapper à cette tentation, les déshabillages de beaux costumes de Pieter Coene restant toujours dans les limites de la décence, et l’on sourit volontiers des péripéties de ces chanteurs-acteurs à peine moins âgés que les personnages de l’opéra. 



Tous les chanteurs sont à citer : le théâtre règne en maître, les voix sont belles et l’articulation parfaite, de la prostituée Marie Soubestre (soprano) au mari Aurélien Gasse (baryton) en passant par la femme de chambre de la mezzo-soprano Catherine Trottmann, la jeune femme de la soprano Laura Holm, la grisette de la mezzo-soprano Charlotte Schumann, le soldat du ténor Alban Dufourt, le jeune homme du ténor Enguerrand de Hys, et le comte du baryton Romain Dayez. Se détachent néanmoins de la troupe le ténor Jean-Jacques L’Anthoen (le poète), le baryton Aurélien Gasse (le mari) et, surtout, la pulpeuse Marie-Laure Garnier, solide et malicieuse soprano qui surpasse en aura Françoise Pollet dans le rôle de la cantatrice que Boesmans avait pourtant écrit pour son aînée. Il ne fait aucun doute que parmi ces jeunes artistes, sur le plateau comme dans la fosse, il se trouve de futures têtes d’affiche.

Bruno Serrou

1) La création de Au Monde est programmée en 2014 par le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles dans un production qui sera reprise ensuite à l'Opéra-Comique de Paris, Salle Favart.

Photos : (c) Ferrante-Ferranti / Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris

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