Reims, Opéra de Reims, vendredi 8 mars 2013
C’est un projet ambitieux, sensible, plein de tact etd’humanité qu’ont présenté vendredi à l’Opéra de Reims la compositrice Claire Renard, la romancière Janine Matillon et le metteur en scène Gustavo Frigerio. Mais la mayonnaise n’a pas pris, le spectateur n’ayant pas été conquis par le spectacle qui en est résulté, essentiellement pour deux raisons : la musique, qui n’évolue guère et ne se colore jamais ; la mise en scène, qui laisse en chemin les protagonistes un peu perdus sur un vaste plateau gorgé d’accessoires, certains s’avérant à la limite du danger pour ces derniers.
Née à Paris le 10 décembre 1944, Claire Renard, qui se présente elle-même comme « compositrice, plasticienne et artiste multimédia », a étudié la littérature et le droit à l’Université Paul Sabatier de Toulouse et le piano et la composition au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où elle est notamment l’élève de Pierre Schaeffer et où elle obtient ses premiers prix en 1973. Ses études terminées, elle a travaillé comme professeur de piano et compose des œuvres sur instrumentarium acoustique et électroacoustique pour des installations sonores. En 1997, elle crée l’association PIMC (Pédagogie Informatique Musicale et Création). Elle a été compositeur en résidence au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines de 1994 à 1996, de la Ville d'Epinal en 1998, du Conservatoire de Grenoble en 1999, du Théâtre Athénor de Saint-Nazaire en 2000, de la Villa Gamberaia en Italie en 2001-2002, du rendez-vous européen Objectif 1 Objectif 1 = Art = Autriche en 2001, du Parc et la Grande Halle de la Villette, du Grame / Centre National de Création Musicale de Lyon en 2005 et du Sally et Don Lucas Artistes programmes du Montalvo Art Center en Californie, en 2006. Elle a également obtenu le Prix Villa Medicis Hors les Murs en 1990, de la Fondation Beaumarchais pour l’audiovisuel en 1990 et pour l’opéra en 2002. Claire Renard compose des pièces électroacoustiques pour des spectacles musicaux et des installations sonores. Elle s’investit dans des genres variés, composant pour le théâtre, la danse et le cinéma, et reçoit des commandes d’État et d’ensembles musicaux. Ses œuvres ont été installées et jouées en France, Suisse, Belgique, Italie, Autriche, Finlande et Grèce. Elle mène en parallèle des recherches sur le rôle de la création dans l’apprentissage musical dans différentes structures comme le GRM, de 1973 à 1977, le CERM de Metz, de 1978 à 1981, l’IRCAM, en 1983, le Centre Pompidou, de 1983 à 1991, et forme les adultes à cette démarche au Centre Pompidou, à la Cité de la Musique, au CFMI, à la Fondation Gulbenkian, à l’Académie Sibelius d’Helsinki, etc. Elle a publié sur ce sujet Le geste musical et Le temps de l’espace aux Editions Van de Velde.
Delphine
Rudasigwa (Orimita I). Photo : (c) Florent Mayonot
C’est un projet ambitieux, sensible, plein de tact etd’humanité qu’ont présenté vendredi à l’Opéra de Reims la compositrice Claire Renard, la romancière Janine Matillon et le metteur en scène Gustavo Frigerio. Mais la mayonnaise n’a pas pris, le spectateur n’ayant pas été conquis par le spectacle qui en est résulté, essentiellement pour deux raisons : la musique, qui n’évolue guère et ne se colore jamais ; la mise en scène, qui laisse en chemin les protagonistes un peu perdus sur un vaste plateau gorgé d’accessoires, certains s’avérant à la limite du danger pour ces derniers.
Née à Paris le 10 décembre 1944, Claire Renard, qui se présente elle-même comme « compositrice, plasticienne et artiste multimédia », a étudié la littérature et le droit à l’Université Paul Sabatier de Toulouse et le piano et la composition au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où elle est notamment l’élève de Pierre Schaeffer et où elle obtient ses premiers prix en 1973. Ses études terminées, elle a travaillé comme professeur de piano et compose des œuvres sur instrumentarium acoustique et électroacoustique pour des installations sonores. En 1997, elle crée l’association PIMC (Pédagogie Informatique Musicale et Création). Elle a été compositeur en résidence au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines de 1994 à 1996, de la Ville d'Epinal en 1998, du Conservatoire de Grenoble en 1999, du Théâtre Athénor de Saint-Nazaire en 2000, de la Villa Gamberaia en Italie en 2001-2002, du rendez-vous européen Objectif 1 Objectif 1 = Art = Autriche en 2001, du Parc et la Grande Halle de la Villette, du Grame / Centre National de Création Musicale de Lyon en 2005 et du Sally et Don Lucas Artistes programmes du Montalvo Art Center en Californie, en 2006. Elle a également obtenu le Prix Villa Medicis Hors les Murs en 1990, de la Fondation Beaumarchais pour l’audiovisuel en 1990 et pour l’opéra en 2002. Claire Renard compose des pièces électroacoustiques pour des spectacles musicaux et des installations sonores. Elle s’investit dans des genres variés, composant pour le théâtre, la danse et le cinéma, et reçoit des commandes d’État et d’ensembles musicaux. Ses œuvres ont été installées et jouées en France, Suisse, Belgique, Italie, Autriche, Finlande et Grèce. Elle mène en parallèle des recherches sur le rôle de la création dans l’apprentissage musical dans différentes structures comme le GRM, de 1973 à 1977, le CERM de Metz, de 1978 à 1981, l’IRCAM, en 1983, le Centre Pompidou, de 1983 à 1991, et forme les adultes à cette démarche au Centre Pompidou, à la Cité de la Musique, au CFMI, à la Fondation Gulbenkian, à l’Académie Sibelius d’Helsinki, etc. Elle a publié sur ce sujet Le geste musical et Le temps de l’espace aux Editions Van de Velde.
Son nouvel opus, Orimita, qui a été créé vendredi à
l’Opéra de Reims, librement adapté par Janine Matillon de son propre roman Les deux fins d’orimita Karabegovic publié en 1996 aux Editions
Maurice Nadeau, a pour ambition de présenter « une forme contemporaine
inédite » qui joue sur le rapport de la musique composée par Claire Renard
avec divers disciplines artistiques, en réunissant texte, récit, chant,
théâtre, vidéo et électroacoustique pour conter le tragique destin d’une femme à
partir des rapports entre la culture et la barbarie. Personnage emblématique de
la souffrance des populations civiles et de la torture des femmes broyées par
les guerres de purification ethnique qui broient l’humanité de tous les temps, Orimita
est absorbée par le drame en s’abandonnant à son tour à la violence.
Dans la tourmente de cette guerre
ethnique que fut la tragédie bosniaque dans les années quatre vingt dix, l’héroïne
est ballottée entre culture et barbarie. Traversée autant qu’elle traverse les
images et les sons virtuels diffusés à travers l’espace, elle questionne sur
l’oubli de la souffrance réelle des corps et des âmes au profit d’un monde
technologique omniprésent, et interpelle notre rapport à la violence d’un monde
de plus en plus déshumanisé et radical. Détenue
dans un camp d'« ensemencement », Orimita subit la torture physique,
le viol autant que la torture psychique du discours rationnel et érudit d’un
« professeur » d’université faisant une « expérience de
purification ethnique ». Elle parvient à s’échapper de ce camp, mais, profondément
meurtrie dans sa chair et dans son esprit, elle se dissocie toujours davantage
d’elle-même à mesure de son errance dramatique entre les forces combattantes et
celles du Nouvel Ordre Mondial, supposées chargées de la protéger à coup de
mensonges médiatiques. Fuyant vers une destination qui se précise petit à petit
dans son esprit, elle décidera plus ou moins délibérément de se venger en
devenant meurtrière à son tour. Depuis le camp où elle est prisonnière de la
première partie, l’errance où elle affronte le chaos des foules déplacées, l’hypocrisie
des forces internationales, l’intolérance des combattants de tous les bords
dans la deuxième partie, jusqu'au meurtre final, cette femme pétrie de culture
et d’humanité, progressivement se dédouble et se regarde agir comme les
monstres froids qui l’ont rendue ainsi. Stéphane Mallarmé l’accompagne dans son
destin jusqu’à lui être fatal, puisque c’est précisément sa culture qui lui
vaut sa « sélection » comme objet d’expérimentation, jugée digne par
le « professeur » d'être ensemencée.
« Considérant
le thème de la confrontation des cultures, convient Claire Renard, il m’a
semblé évident et nécessaire de me confronter musicalement à des cultures
différentes. Ainsi fut entrepris en préalable à toute écriture un travail de
rencontres avec des musiciens d’origines instrumentales diverses, classiques et
ethniques, aux fins de découvertes réciproques de façons de faire et de modes
de jeux (kanun jordanien, lyra crétoise, duduk arménien, luth, viole de gambe,
etc.). A la suite de ces échanges organisés autour d’improvisations, il fut
fait une série d’enregistrements dont la composition sur bande constitue le
fondement de l’œuvre, donnant une couleur particulière à la sonorité de
celle-ci. » D’une durée d’environ quatre-vingt minutes, Orimita se compose d’un prologue et de
trois parties, respectivement intitulées « Assassinat de la culture,
Assassinat de la vie et Assassinat de l’âme, subdivisées successivement en six,
quatre et trois épisodes. Sur le plateau, une femme, Orimita, dédoublée en comédienne
et cantatrice ainsi qu’un joueur de lyra crétoise, une gambiste, une bande enregistrée
et un dispositif de diffusion visuel et sonore. Cette œuvre lyrique utilise en
effet le numérique qui permet de confronter la réalité de la souffrance du
corps à l’univers médiatique, omniprésent, de questionner le rapport entre la
culture et la barbarie. Grâce à ces outils et au système de diffusion et de
spatialisation, le public peut suivre le parcours d’Orimita en passant d’une
situation de très grande proximité, une intimité quasi charnelle , à une
immersion sonore et visuelle dans un espace où les repères se diluent. Le choix
du duo chant lyrique / récit est directement issu du roman dans lequel l’héroïne
se voit progressivement se dédoubler. La bande magnétique est composée des
improvisations rassemblant les musiciens de traditions différentes,
d’enregistrements de la voix chantée ainsi que de sons de diverses sources,
instrumentales et concrètes. En complément de la musique, la temporalité de la
transformation de l’héroïne se manifeste dans l’occupation de l’espace.
Passionnant
sur le papier, ce projet déçoit une fois sur le plateau. La partition
est monochrome et statique, la bande magnétique ne fait que créer une
atmosphère sombre sans relief et la narration musicale est comme figée, l’écriture vocale s'avérant uniforme et
atone, la mise en scène laisse la bride sur le cou aux protagonistes. Et si la
comédienne réussit à convaincre le spectateur qui compatit volontiers à son
drame et adhère à ses doutes et au
cheminement de sa pensée, grâce à la performance impressionnante de Delphine
Rudasigwa, on se lasse vite de la sonorisation outrancière dont elle est victime, d'autant plus que sa
voix, au lieu d’être portée par la spatialisation promise, provient
continuellement des mêmes sources, celles de haut-parleurs placés autour du cadre de
scène, tant et si bien que, quoi qu’elle fasse et où qu’elle se trouve, la
comédienne semble en permanence s’exprimer du même endroit, depuis le milieu du
plateau, à l’avant-scène… La mezzo-soprano qui la dédouble, Marie-George Monet,
est sous-employée, tant vocalement - elle psalmodie plutôt qu’elle chante, et
toujours sur le même mode, la voix, plus naturelle que celle de son double de comédie car discrètement sonorisée -, que scéniquement - le metteur en scène la plantant tel un chou, ne sachant
où se mettre ni comment se mouvoir, elle reste continûment figée. Les deux
musiciens (la gambiste Emmanuelle Guigues et le joueur de lyra Stelios
Petrakis) déplacent leur chaise de chez Ikea en fonction des besoins de la
scénographie, mais dans un seul sens, vers le fond du plateau… Projetant des
images noir et blanc, notamment de belles diapositives de forêt, la vidéo
d’Emilie Aussel campe le décor sans être envahissante.
Reste à
souhaiter à cette Orimita d'être
retravaillée dans la perspective de sa reprise en 2014 au Théâtre de la
Bastille à Paris…
Bruno
Serrou
Je m’élève en faux contre ce jugement par trop lapidaire porté sur ce spectacle. Il n’y a ni monstration ni démonstration : il s’agit de traduire un état de violence, de barbarie mais en aucune manière d’en donner à voir la monstruosité. N‘est-ce point là la vocation de l’œuvre d’art d’être toujours au-delà des événements tels qu’ils se produisent ou se sont produits. N’était-ce point cette problématique admirablement posée et résolue dans les ouvrages de grands compositeurs dits engagés comme Luigi Dallapiccola ou Luigi Nono ? Relever le défi de dénoncer et de faire œuvre coûte que coûte. C’est cette sensibilité qui opère dans Orimita. Pas seulement narrer une histoire tragique, mais entrer dans l’univers mental de cette femme qui souffre jusqu’au dédoublement d’elle-même, jusqu’à la folie. En décrire la passion grâce à la musique qui, par ses univers variés (musiques d’origines diverses, ethnique, classique, etc.) vient creuser en nous des espaces d’empathie et d’humanité. Enfin, les différentes composantes (textes, scène, vidéo) s’agencent, s’intriquent, se mêlent dans une grande fluidité et porosité et donnent une qualité, une saveur particulière à l’ensemble. L’émotion affleure par touches précises et douces en même temps que nous est donnée à saisir une part de notre monde, ses conflits et ses atrocités.
RépondreSupprimerGeneviève Mathon