Paris, Salle Pleyel, lundi 18 mars 2013
Maurizio Pollini. Photo : DR
Le dernier concert de la série « Pollini
Perspectives » entamée voilà dix-sept mois Salle Pleyel, s’est déroulé devant
une salle comble, un peu bruyante parfois mais toujours concentrée.
Quelles que soient les œuvres qu’il propose, Maurizio Pollini fascine. Contrairement
à la majorité de ses confrères, l’immense pianiste italien profite de son
magnétisme pour présenter des programmes extrêmement pensés, mettant en regard
répertoire et création. Et le public le suit sans hésiter, comme l’atteste la
qualité de l’écoute des pièces contemporaines.
Salvatore sciarrino (né en 1947). Photo : DR
Ce qui a encore été le cas hier, tandis que, en
ouverture de concert, Klangforum de Vienne et les Neue Vocalsolisten Stuttgart dirigés
par Tito Ceccherini. Sous la direction de ce chef italien qui a notamment
dirigé à l’Opéra de Paris la création de la
Cerisaie de Philippe Fénelon, les ensembles autrichien et allemand ont
donné une magistrale interprétation des trois derniers Madrigali concertati du Carnaval
de Salvatore Sciarrino (né en 1947), dont la présence était attendue mais sa venue a
dû être annulée pour raison de santé. Données en première audition française,
ces trois pièces d’une durée totale de vingt-cinq minutes ont été créées par Maurizio
Pollini et les deux ensembles réunis hier le 30 août dernier dans le cadre du
Festival de Lucerne. Ces trois pages, dans lesquelles le compositeur sicilien
rend hommage à la Chine ancienne sont plus développées que les neuf qui les
précèdent, qui se fondaient quant à elles sur des textes néo-guinéens et de l’île
de Kitawa. Entre le superbe premier madrigal (n° 10), Suono pieno… pour cinq voix et ensemble de dix instruments, assez
long, et le troisième (n° 12), Tao
Yanming non sapeva la musica…, pour cinq voix, piano et ensemble de dix
instruments, s’intercalent une grande pièce purement instrumentale, pour piano
et ensemble constitué de deux flûte (alto et basse), deux clarinettes basses,
deux trombones, deux percussionnistes et deux violoncelles. Ces deux dernières pages
sont de grande beauté, expressives et constamment renouvelées, sollicitant l’écoute.
L’ultime compte un passage dans lequel deux
voix à l’unisson (ténor/soprano, baryton/mezzo-soprano) chantent de concert,
tandis que le texte, traité comme des phonèmes, est ponctué de rares
interventions instrumentales qui magnifient les effets vocaux de leurs timbres
colorés et brûlants. Le fils de Maurizio Pollini, Daniele Pollini, qui se
substituait à son père, trop fatigué pour assurer la partie piano et qui avait
de ce fait préféré se réserver pour les trois dernières sonates de Beethoven, a
imposé son jeu par une assurance et des sonorités pleines et sûres, du un
Steinway griffé « Pollini », se montrant parfaitement en phase avec ses
extraordinaires partenaires de Klangforum et des Neue Vocalsolisten.
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
En seconde partie, après avoir rejoint un autre Steinway que celui de son fils, griffé Fabbrini
aux sonorités brillantes et rondes à petits pas vifs et salué le public en
courbant le buste avec vivacité, Maurizio Pollini a donné ce qui allait se révéler
en cours d’exécution être une immense sonate en trois mouvements constituée des
opp. 109, 110 et 111 de Beethoven, présentant
ce prodigieux triptyque conclusif de l’impressionnant cursus des sonates beethoveniennes
telle une immense arche d’une unité telle que l’œuvre en trois volets est
apparue d’une extraordinaire unité.
Etonnamment, Pollini a abordé la Sonate en mi majeur op. 109 de façon la
précipitée, ne produisant tout d’abord que des sonorités sourdes, sans
résonance, appuyant sur la touche en y mettant tout son poids mais sans
parvenir à colorer ni à dessiner le relief. Précipitant, la course des mains
sur le clavier se bousculait et les doigts accrochaient de temps à autres. Puis,
comme s’il avait pris la mesure de l’instrument, tout changea soudain dans le troisième
mouvement, dense et aux variations chamarrées, dont il a fait ressortir la diversité
des climats, tandis que l’on entendait sa voix fredonnant.
Ce finale plein d’éclat et de profondeur a fait
le lien avec une Sonate en la bémol
majeur op. 110 sublime d’intériorité et de mystère, d’une densité inouïe.
La Fuga était comme construite par un
mage du son et de l’architecture, tendue tel un arc et colorée comme la palette
du peintre, avec des aigus brillants et chauds, des graves polychromes et d’une
intensité phénoménale. Le Moderato initial est apparu d’une profondeur et d’une
intériorité prodigieuse, comme si l’univers entier y était inclus.
La Sonate
en ut mineur op. 111 d’une richesse plus cosmique encore, magnifiée par un
discours luxuriant joué en un respiration infinie à jet continu, l’œuvre
atteignant une unité fantastique comme si elle ne conduisait à aucune conclusion.
Pollini a tenu le public en haleine, le souffle coupé, atteint au cœur et au plus
secret de l’âme, le corps tendu à l'extrême au point de finir en eau - comme
Richard Strauss le disait dans l’un de ses dix commandements aux apprentis
chefs d'orchestre : « ce n’est pas a toi de suer, mais au public. »
Concentré, les yeux fixés sur le clavier, le visage tendu mais maîtrisant
l’espace et le temps avec une assurance indescriptible, Pollini s’est avéré
immense et ses Beethoven hallucinants.
Ainsi le pianiste italien a-t-il conclu hier son
cycle « Perspectives » où il aura mis en regard les dernières sonates
(seules les opus 101 et 106 auront manqué – voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/01/renoncant-la-hammerklavier-au-profit-de.html)
de Beethoven et des créateurs d’aujourd'hui. Une soirée qui a sonné comme un
adieu, si bien que le public a eu du mal à quitter la salle, essayant avant de
s’en extraire de retenir le conteur, mais en vain, puisque ce dernier n’a donné
aucun bis. Mais comment aurait-il pu en être autrement, après le magistral opus 111 qu’il venait d’offrir ?... Longtemps après le concert, je suis pour ma part resté en état
d’apesanteur, ne pouvant m’extraire de ces instants d’une profondeur inouïe qui
me transportaient loin de notre monde mesquin et sans magie.
Bruno Serrou
Merci pour cet article qui traduit si bien l'émotion de ce concert. Petite précision toutefois sur les pianos qui étaient tous les deux des Steinway griffés "Fabbrini " du nom du très compétent technicien qui s'en occupe dans tous leurs déplacements !
RépondreSupprimerMerci pour cet article qui m'a mis les larmes aux yeux.
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